« Ma détermination à participer à la marche verte m’a poussé à ne pas annoncer à ma femme que je m’étais inscrit, pour éviter qu’elle me fasse changer d’avis »
Cette semaine les souvenirs vivaces de Mohammed Chioua Larbi, volontaire au moment de la marche verte, nous amènent dans les coulisses des préparatifs du départ de Tanger, à l’arrivée dans les camps de rassemblement à Tarfaya.
Mohammed Chioua Larbi (1er en partant de la gauche.) et quelques volontaires lors de la marche verte. © Mohammed Chioua Larbi
« […] M. Youssef M’nari est l’oncle maternel de ma femme. Entre les dates d’inscription et de départ, lors des rencontres familiales, ma femme (qui est sa nièce donc) lui demanda : « comment vas-tu aller participer à la marche et laisser ta femme enceinte ? ». Après un court silence, il lui répondit : « attends-toi aussi ta part de surprise ».
Ma détermination à participer à la marche verte m’a poussé à ne pas annoncer à ma femme que je m’étais inscrit, pour éviter qu’elle me fasse changer d’avis, surtout que nous avions notre première fille âgée alors de 18 mois. L’annonce de mon départ n’a été faite que le jour même du rassemblement pour le départ par train, de Tanger à Marrakech.
Désolé, mais c’était le fait accompli et les dés étaient déjà jetés ! Il n’y avait plus moyens de faire machine arrière. La morale à tirer de ce comportement, qui semblerait incompréhensible de nos jours, c’est que rien n’est plus cher que le sacrifice pour le pays et la nation.
- Youssef M’nari avait laissé au moment du départ une femme et une petite fille sans aucune perspective. On ne savait pas comment les choses allaient tourner une fois partis. Notre force était notre foi en Dieu, le tout puissant, notre attachement à notre chère PATRIE et à notre Roi bien aimé.
Le devoir citoyen nous appelait, on devait y répondre. Sacrifiant ainsi nos familles, en échangeant notre amour pour elles par l’amour pour notre patrie. Mais grâce à Dieu tout s’est bien passé, tant au niveau du devoir qu’au niveau familial.
Pour la petite anecdote, alors que nous étions en pleine marche, M. Youssef M’nari a eu une petite fille qu’il nomma « Massira », âgée aujourd’hui de 47 ans et mère de trois filles.
Première étape le rassemblement.
Je me souviens que c’était un vendredi, après la prière tous les volontaires de la région se sont rassemblés dans un campement à Beni Makada. A ce moment, nous avions pensé que nous allions partir le même jour ; c’était sans compter que nous passerions deux jours durant dans ce campement, le temps que les autorités vérifient les listes des inscrits, afin de s’assurer qu’il n’y avait pas d’intrus, puisque beaucoup de monde voulait partir. C’était aussi l’occasion de faire connaissance et nouer des liens entre nous.
Le dimanche après-midi, des bus sont venus au campement pour acheminer tous les volontaires vers la gare de train, à l’entrée du port ; lieu devenu, jusqu’à nos jours, le mémorial du départ de la Massira de Tanger et Région.
Le long du chemin entre le campement de Beni Makada et la gare ferroviaire, une foule impressionnante de citoyens fervents nous acclamait sur les abords des chaussées. A l’arrivée à la gare ferroviaire, un contrôle minutieux avait été mis en place. Il fallait se rassurer que seuls les volontaires inscrits montaient à bord des trains affectés à l’opération. Cette opération a durée 4 heures, vu le nombre des familles et amis qui tenaient à accompagner leurs proches jusqu’au dernier moment.
Une fois à bord des trains, nous étions tellement fatigués que la majorité des volontaires s’étaient endormis durant le long trajet.
A l’arrivée à Marrakech, nous ne savions pas encore par quels moyens nous allions nous rendre à la frontière de « TAH ». Mais après quelques temps, nous avions su que 15 camions avaient été affectés au contingent homme de la région de Tanger, et un bus de 50 places pour les femmes. Nous étions une trentaine d’hommes par camion. A partir de ce moment, le voyage vers l’inconnu pouvait commencer. Mais cela ne nous faisait aucunement peur. La volonté et le désir de participer à cet événement historique animait notre enthousiasme et nous unissait tous et encore plus fortement.
La première étape de ce voyage fut le trajet de Marrakech à Agadir Ait Melloul. Nous avions eu droit à un premier point d’arrêt afin de nous rafraichir. Puis, le voyage pouvait repartir le long des plages de la région de Guelmim jusqu’à Tarfaya.
A Tarfaya, nous avions eu droit à un autre arrêt. Cette fois-ci, cet arrêt était justifié pour la nécessité de répartition des volontaires dans les campements, soit un campement par région. Nous nous étions organisés en 10 groupes de 50 personnes ; soit un groupe de femme et neuf groupes d’hommes. Les tentes avaient été montées longtemps à l’avance, de sorte que chaque grande tente puisse loger deux groupes de 50 personnes, et une tente dédiée aux femmes.
Au moment d’arrivée dans nos différentes tentes, nous étions surpris de réaliser que notre région était la première dans notre camp. C’était le seul camp monté pendant 2 jours et il y avait que notre contingent.
Chaque tente de 100 personnes était repartie en 4 groupes de 25. Il y avait un responsable des communications, de distribution des aliments. Par ailleurs, nous disposions d’une adresse de courrier à savoir : « Massira al Khadra, région de Tanger suivi du numéro de groupe ».
Nous nous étions mis d’accord avec le chef de notre groupe pour former un groupe de 11 personnes et de faire usage d’un camion stationné à coté et non utilisé, au lieu de rester dans la tente. Nous y étions même restés pour dormir.
Vu que nous étions les seuls dans le camp et qu’il n’y avait pas de préparation prévue, le deuxième jour nous avions voulu profiter de ce temps libre pour explorer les lieux. C’est ainsi que nous nous étions rapprochés de la plage. Cette escapade nous avait pris une demi-journée
Au retour, en nous approchant, on voyait de loin un gros nuage de poussière s’élever, c’était un nouveau et énorme camp qui était en train d’être installé. Curieux, nous nous étions enquis sur nos voisins, et nous avions eu l’information selon laquelle c’était les volontaires venus du grand Casablanca, au nombre de 35000 ! Ils étaient venus en masse par camions.
Le lendemain tous les camps avaient été installés et séparés par région. On pouvait facilement passer d’un camp à un autre, sans contrôle ni restrictions. Le soir, il était possible d’entendre les chants folkloriques des différentes régions, ce qui nous donnait une idée sur l’origine des volontaires occupant tels ou tels camps.
Pour ce qui est de la nourriture, une fois arrivés au camp, les provisions avaient été remises aux différents chefs de camps, en relation directes avec les chefs de groupes formés de 25 volontaires. Chaque chef de groupe avait la charge d’assurer la distribution des vivres, de sorte que tout le monde ait sa ration journalière.