Jamais autant qu’aujourd’hui les hommes et les femmes n’ont été convaincus que l’amour était un gage de liberté et de bonheur, de promotion sociale et de vie conjugale épanouie parce qu’avec deux cœurs qui se complètent, qui se comprennent, ils pensent être en mesure de défier l’adversité et de surmonter les difficultés de quelque nature qu’elles soient. Cependant, lorsque la trahison s’en mêle, bonjour les dégâts ! Lorsqu’une ville y fourre son nez, les chevaux se débarrassent de leurs harnais et fuient l’attelage conjugal !
ENTRETIEN :
Question : Professeur, nos lecteurs vous connaissent à travers votre rubrique hebdomadaire «Méditations tangéroises», par vos nombreuses publications et par vos actions socioculturelles et académiques. Tanger la trahison est votre dernier roman, peut-être s’est-il fait attendre, peut-être est-il venu au bon moment, en tous les cas, son titre peut interpeller, puisque cette notion de Tanger qui trahit est le signe d’une hérésie, d’une remise en question d’une évidence qui suppose que Tanger est synonyme de fidélité, de mythe éternel. Est-ce que vous concevez l’amour d’une ville comme une naïveté, un investissement mal placé ?
Réponse : Tout en vous remerciant pour cette généreuse et aimable invitation à parler de mon dernier roman, je voudrais saluer, à travers vous, mes collègues et amis du Le Journal de Tanger ainsi que mes fidèles lecteurs qui se sont certainement interrogés sur mon absence, ces derniers mois, dans les pages de leur quotidien. En vérité, les contraintes de l’écriture resteront, pour moi, d’agréables tortures. En effet, j’ai mené, et ce, depuis le début du confinement, trois projets d’écriture en parallèle qui sont venus s’ajouter à toutes mes autres publications. D’abord, un ouvrage historique : « L’Alliance sacrée entre Dar El Maghzen et Dar Dmana ou l’autre histoire du Maroc » (2 volumes, 1400 pages), paru à l’imprimerie du Le Journal de Tanger en 2020, puis, « Toute une vie au service de l’ombre », une biographie (625 pages), sous presse, aux Editions Al Bidaouia et, enfin, « Tanger la Trahison » (562 pages), objet de notre entretien. Ce roman a attendu son tour au milieu de nombreux autres projets, tout aussi importants pour moi. Trois autres romans font la queue pour la simple raison que mes préoccupations sont multiples et que le temps qui s’écoule ne me laisse plus le choix de hiérarchiser mes projets, commencés depuis l’âge de 20 ans. Revenons, si vous le voulez bien, à « Tanger la trahison » et à votre question. Tout d’abord, il n’est dit nulle part que Tanger a trahi ou qu’elle a été trahie. Le titre interpelle le lecteur qui aura pour lourde tâche celle de redéfinir le titre, de lui donner un sens, une essence. Tanger, je ne cesserai de le répéter, est un verbe du 1er groupe qu’il faut apprendre à conjuguer à toutes les personnes, à tous les temps, à tous les modes. Aimer cette ville mythique n’est pas suffisant, il faudrait en découvrir cette âme fuyante que nombre de nos concitoyens, aussi bien que les Etrangers, ont du mal à saisir. De quelle Tanger parlons-nous ? Chacun d’entre nous s’est approprié la signification qui lui sied le mieux, l’image qui le réconforte ! Donc, ce titre est une invitation à la réflexion, à la méditation « tangéroise » ! Que vient faire Tanger dans cette galère romanesque ? Un simple espace ? Un personnage ? Pour répondre à votre question, aimer une ville ou une personne, relève du même registre. Tant que cet amour est aveugle, sourd et muet, les contours ne servent plus à rien et plus rien n’arrête la marche impitoyable du destin !
« Tanger la trahison » est-il un roman d’amour, un récit social, une histoire fictive, une intrigue philosophique, un essai psychologique ?
C’est un cocktail explosif où se croisent tous ces genres et où se disputent toutes ces sciences et courants littéraires. Ce sont des choix qui nous sont dictés par la thématique elle-même, par le jeu des miroirs et des personnages qui s’affrontent, qui se meuvent dans des sables mouvantspérilleux. Nous sommes en présence de personnages de chairs et de personnages de papier. Qui commande l’autre, qui mène la danse ? Au lecteur de répondre en fonction des liens qu’il saura entretenir avec eux. Il s’agit d’un couple mixte, franco-marocain dont les origines auront un impact sur leur vie et sur leur destinée. L’amour les a réunis, du moins en apparence, mais le couple n’a pas pu ou su résister à l’usure du Temps et aux caprices du démon.
Vous parlez de l’adultère ? De l’inceste ?
Entre autres malheurs venus perturber la quiétude d’une vie tranquille, eau de rose. Il est des dérives qui sont volontaires et d’autres involontaires, des crimes prémédités et d’autres qui relèvent d’un moment de folie. Ici, la vengeance est terrible et le pardon invisible ! Nul ne sait ce qui se passe sous le paillasson, nul ne sait que le poisson de l’aquarium ou le livre de la bibliothèque, ou qu’un simple film cinématographique, peut déclencher l’apocalypse, la machine à broyer le bonheur et à dévorer les cœurs.
Que signifie cette clef sur la couverture ?
En vérité, c’est une clef à trois têtes, ce sont trois clefs regroupées, soudées. Ce sont les trois clefs du mystère ambiant qui ont été introduites dans les serrures symboliques de trois villes. Chacune entretenant avec le héros une relation complexe ou le sexe, en épée de Damoclès, veille sur sa destinée. Chaque clef ouvre sur un malheur alors qu’elles promettaient bonheur et félicité. Le récit suivra la trace du couple qui se déchire mais il dicte aussi le destin d’une fille, un personnage central mais effacé. Ce roman est aussi le lieu d’un débat intellectuel, socioculturel et psychologique sur les grands thèmes qui secouent, aujourd’hui, le monde occidental et le monde arabo-musulman. Y figurent, entre autres, tous les mystères identitaires de notre époque qui nécessitent l’intervention des psychanalystes, des oulémas, des politiques, des juges et de tous ceux qui ont pour mission d’enseigner le savoir-vivre, le savoir-être, le savoir-faire, le savoir, tout court !
Des projets d’écriture en vue ?
Deux romans : « Le concert des cancers » et « Les joyaux de Regnault » ainsi que deux biographies dont je tairai les titres. Les mécènes sont prévenus !
Un dernier mot !
Des maux sous forme de maux ! En effet, au moment où nous parlons des problèmes de notre société, de l’Algérie voisine, de l’immigration incontrôlée et incontrôlable, des dérives identitaires, des conflits de religion et de civilisation, de l’intolérance, du radicalisme, du racisme, du séparatisme, des guerres, de la perversion sexuelle, de la morale familiale, des crises au sein des couples « mixtes », dans leur complexité, des « mariages pour tous », des conséquences des divorces et des séparations hâtives ou injustifiées, des défaillances en termes d’autorité et de liberté, ce livre, tout en évoquant ces folles envolées de l’Humanité, approfondit aussi la réflexion en faisant appel aux témoignages des livres, personnages à part entière dans l’intrigue romancière afin de compenser la vulnérabilité des personnages.Un livre à lire patiemment et passionnément !
Propos recueillis par Meryem Cherradi