Entretien avec le coordonnateur d’Annahj Addimocrati à Tanger AHMED AAMER
Annahj Addimocrati, s’autoproclamant mouvement radical de la gauche marocaine revendiquant la continuité du mouvement marxiste-léniniste ‘’Ilal Amam’’, n’a pas suivi l’exemple de ses alliés au sein du Rang de la Gauche Démocratique (PSU, PADS, CNI) et a préféré continuer à faire cavalier seul, appelant au boycott des prochaines élections.
Notre invité de cette semaine, Ahmed Aamer, coordonnateur d’Annahj Addimocrati à Tanger estime que « les dés sont pipés d’avance »
Chirurgien ophtalmologue dans le privé, Dr Ahmed Aamer est né à Ksar El Kébir en 1943. Il a fait sa médecine en Espagne, après avoir suivi ses études primaires dans sa ville natale et secondaires à Tétouan. Ancien membre de l’UNEM en Espagne, il participe à la coordination avec le mouvement des étudiants arabes et rejoint le parti communiste et les commissions ouvrières espagnoles avant de faire partie de l’organisation clandestine ‘’Il Al Amam’’ (En avant) d’idéologie marxiste léniniste.
Son élection consensuelle à la tête de la structure locale d’Annahj, dans la conjoncture actuelle, serait un choix de sagesse pour concilier entre les tendances et divergences existant au sein d’un mouvement aussi vif, traversant une situation assez délicate, suite notamment au regrettable procès contre ses militants dans notre région.
Dr Ahmed Aamer est marié et père de trois enfants.
ENTRETIEN :
• Le RGD est composé de 4 partis politiques, chaque parti a son programme, ses priorités, sa stratégie … La plateforme du RGD est souple et permet à chaque parti de défendre librement son point de vue.
• Annahj Addimocrati est là, ça dérange certains, ça irrite d’autres, mais l’essentiel c’est que les couches sociales en lutte y trouvent un appui solide.
• La majorité du peuple boycotte les élections, à la marocaine. Les masses populaires savent mieux que quiconque qu’il n’y a pas de véritables enjeux. Les dés sont pipés d’avance.
• Nous luttons, à court et moyen terme et avec d’autres forces, pour une constitution démocratique qui émane du peuple et pour le peuple.
• Aujourd’hui la nature du régime n’a pas connu de changements profonds, c’est pourquoi nous restons fidèles aux principales thèses d’Il Al Amam.
• Annahj n’a rien à voir avec les événements qu’ont connu les universités ces de
iers mois.
• Sahara : L’histoire nous a donné raison, puisque l’Etat marocain va s’asseoir face à face avec le Front Polisario pour négocier l’avenir du dossier.
• Quel que soit le parti qui gagne, rien ne va changer dans la mesure où les conditions sont toujours les mêmes.
• Nos militants sont populaires et très actifs dans tous les secteurs : droits humains, syndicalisme, femme, jeunesse.
• Nous enregistrons une recrudescence dans la spéculation immobilière et diverses formes de dilapidation et d’occupation du domaine public.
Q : Alors que vos alliés au sein du Rang de la Gauche Démocratique (RGD) ont décidé de se présenter aux prochaines élections avec des candidatures communes, vous, non seulement vous boycottez, mais vous faîtes campagne pour le boycott. Peut-on en déduire que Annahj Addimocrati est en train de se démarquer de cette coalition de gauche ?
R : Le problème, s’il y en a un, ne relève pas d’une démarcation, mais plutôt d’une divergence de point de vue, ce qui est normal, quant à l’appréciation politique que l’on peut avoir de la situation qui prédomine. Le RGD est composé de 4 partis politiques; et chaque parti a son programme, ses priorités, sa stratégie … La plateforme du RGD est souple et permet à chaque parti de défendre librement son point de vue. C’est le cas pour la question du Sahara, les réformes constitutionnelles, les élections de septembre 2007…Sur ces questions, les divergences entre Annahj et les autres composantes du RGD sont inconciliables.
Q : Par cette position, vous sentez vous plus proches d’un mouvement comme ‘’Al Adl Wal Ihssane’’ qui, lui aussi boycotte ces élections? A la différence, bien sûr, que les militants de cette Jamaâ ne veulent même pas faire campagne pour ce boycott, car pour eux, « appeler au boycott c’est déjà rentrer dans ce jeu sinistre et lui donner une certaine crédibilité ». À part l’impact médiatique, pensez-vous que votre appel au boycott aura un écho quelconque sur le cours des événements ?
R : Nous, nous luttons pour une démocratie populaire, pour une société où les travailleurs/créateurs gèrent les moyens collectifs de production, veillent à ce que l’économie réponde aux besoins réels du peuple, à la bonne répartition du produit, organisent démocratiquement tous les aspects (politique, économique, social, culturel…) de la vie publique. Nous luttons, à court et moyen terme avec d’autres forces, pour une constitution démocratique qui émane du peuple et pour le peuple. Une constitution qui supprime le «sacré», véritable épée de Damoclès. Ce n’est certainement pas le programme de l’opposition islamiste.
La majorité du peuple boycotte les élections à la marocaine. Les masses populaires savent mieux que quiconque qu’il n’y a pas de véritables enjeux. Les dès sont pipés d’avance.
La nature du pouvoir est antidémocratique et les «grands» partis de l’échiquier politique sont loin d’être solvables quant à leurs promesses électorales.
Annahj Addimocrati ne se surestime pas. Il ne va pas changer les donnes. Mais il va expliquer certainement sa position. De toute façon les militants d’Annahj d’aujourd’hui, comme ceux d’Il Al Amam d’hier, ne vont jamais accepter de jouer le rôle de rabatteurs ni de figurants. Notre repère reste et restera l’intérêt des travailleurs et de tous les déshérités. Or dans l’état actuel des choses, participer aux élections de septembre ne peut que cautionner la politique officielle et renforcer la domination des classes des exploiteurs, des spéculateurs, des dilapidateurs des deniers publiques, des trafiquants de drogues, des marchands de sexe…
Q : Vous vous qualifiez vous-même de « mouvement démocratique radical à la perspective révolutionnaire ouvrant la voie à la société socialiste » et revendiquant la continuité du mouvement marxiste-léniniste ‘’Ilal Amam’’. Pensez-vous réellement que ce ‘’radicalisme’’ puisse encore séduire les masses, après les mutations profondes observées sur la scène mondiale, régionale et nationale ? N’avez-vous pas l’impression que votre discours appartient à une autre époque ?
R : De toute façon, il n’y a que 3 alte
atives :
— Soit contribuer – activement ou par «l’apolitisme» – au renforcement du système en place qui engendre la concentration de la richesse en un pôle, et la pauvreté, le chômage, la misère, la désolation en un autre. Un système qui a permis à une petite minorité d’avoir la main basse sur la richesse du pays.
— Soit faire revenir le pays aux systèmes moyenâgeux, aux ères où l’obscurantisme régnait en maître.
— Ou alors, lutter, comme nous le faisons nous, malgré les difficultés de la conjoncture, pour une société des travailleurs/créateurs, pour une société socialiste et un lendemain meilleur.
La naissance du mouvement marxiste léniniste marocain en général et d’Ila Al Amam en particulier fut une coupure avec les pratiques opportunistes, les arrangements de coulisse et les compromis de classes aux dépens des travailleurs en général et de la classe ouvrière en particulier.
Aujourd’hui la nature du régime n’a pas connu de changements profonds, c’est pourquoi nous restons fidèles aux principales thèses d’Il Al Amam tout en adaptant nos tactiques, nos mots d’ordre, nos formes organisationnelles, nos méthodes de lutte… à la réalité actuelle.
Les luttes du peuple marocain, les sacrifices consentis par les mouvements révolutionnaire marxiste léniniste et ittihadi, et les changements survenus sur la scène inte
ationale ont imposé au régime une certaine «ouverture» que les militants marxistes se doivent d’exploiter tout en sachant que ces « acquis » sont secondaires et surtout précaires. La répression fait partie de la nature de l’Etat marocain. Le pouvoir ne recule et ne reculera jamais devant rien lorsque les intérêts des classes dominantes sont menacés.
Les forces radicales n’ont d’autre choix que de lutter pour un autre pouvoir, le pouvoir des travailleurs.
Q : Le Bâtonnier Abdeslam Bakkioui, membre bien en vue du Parti d’Avant-garde Démocratique Socialiste (PADS) à Tanger, interviewé de
ièrement dans ce spécial législatives, a déclaré que vous n’êtes pas un parti, mais une association politique.
Qu’en pensez-vous ?
R : Pour moi, qu’on nous appelle un mouvement politique, un parti ou une association politique ne change en rien la réalité : Annahj Addimocrati est là, ça dérange certains, ça irrite d’autres, mais l’essentiel c’est que les couches sociales en lutte y trouvent un appui solide. Il sait répondre toujours présent lorsqu’il s’agit de défendre des causes justes. Les de
ières arrestations de nos militants prouvent que le pouvoir ne nous porte pas dans son cœur.
Annahj Addimocrati fait et fera tout son possible pour contribuer avec les véritables socialistes à l’organisation des travailleurs et des intellectuels révolutionnaires au sein du parti de la classe ouvrière et de l’ensemble des travailleurs.
Q : Justement, lors des manifestations du 1er mai de
ier, des militants d’Annahj Addimocrati ont été interpellés dans notre région pour avoir porté atteinte aux ‘’valeurs sacrées’’ du royaume. Des peines allant jusqu’à 3 ans d’emprisonnement ont été prononcées à Ksar El Kébir. Tout de
ièrement, le nom de votre mouvement a été associé aux tristes affrontements où il y a eu mort d’homme dans certaines universités. On vous reproche aussi d’épouser les positions séparatistes en ce qui conce
e le dossier du Sahara. On a l’impression que vous faîtes tout pour faire le vide autour de vous…
R : Tout cela est ridicule. En premier lieu, les militants condamnés de
ièrement – ils ne sont d’ailleurs pas tous nahjistes – ont été arrêtés à cause de leur lutte aux côtés des masses populaires. C’est leur engagement militant qui a été « sanctionné ».
En second lieu, Annahj n’a rien à voir avec les événements qu’ont connu les universités ces de
iers mois. La violence entre les courants politico syndicalistes ne peut être que condamnable. C’est une pratique étrangère au mouvement marxiste léniniste marocain. Ces gens là jouent, consciemment ou inconsciemment, le jeu du pouvoir.
Quant à notre position sur la question du Sahara, c’est une position politique et de principe. L’histoire nous a donné raison, puisque l’Etat marocain va s’asseoir face à face avec le Front Polisario pour négocier l’avenir du dossier.
Q : Si un parti islamiste comme le PJD arrive comme l’indiquent certains sondages en tête des élections, ne serait-ce pas un petit peu aussi ‘’de votre faute’’ ?
R : C’est une approche trop simpliste politiquement parlant. Comme vous le savez, depuis les élections de 1963 et jusqu’à présent, le pouvoir du makhzen n’a jamais cessé de recourir à tous les moyens, sans aucun souci d’éthique ni de transparence – en faisant proliférer des partis réactionnaires, à la plateforme tribale ou religieuse, ou carrément issus de l’administration – pour façonner à sa guise la carte politique et fabriquer les résultats des élections et les institutions qui en sont issues. Celles-ci servent à consolider le pouvoir et à défendre les intérêts des classes dominantes qui ont le contrôle des richesses du pays. Donc, quel que soit le parti qui gagne, rien ne va changer dans la mesure où les conditions sont toujours les mêmes. La majorité du peuple marocain en est d’autant plus consciente que le constat négatif émanant du cumul des déceptions des élections précédentes est fortement et largement ressenti. Cela explique le peu d’enthousiasme manifeste d’après la faiblesse du taux d’inscription sur les listes électorales, malgré la prolongation du délai fixé au préalable.
Q : Quelle est l’ampleur de votre présence dans une région comme Tanger – Tétouan ?
R : La présence d’Annahj Addimocrati est importante au niveau de la région du nord en général, tant sur le plan politique, qu’au niveau organisationnel et de rayonnement. Nos militants sont populaires et très actifs dans tous les secteurs : droits humains, syndicalisme, femme, jeunesse et bien d’autres domaines couverts par le tissu associatif. Cet activisme ne passe pas inaperçu et vous êtes bien placé pour le savoir. Que ce soit au niveau du contenu et de la forme des initiatives politiques que nous lançons, ou à travers les plateformes de coordination auxquelles nous adhérons aux côtés des composantes du rang démocratique et progressiste, en passant par notre contribution à l’encadrement des différentes actions de protestation et de revendication dans la région.
Q : À part la distribution de tracts appelant au boycott, avez-vous d’autres actions en vue dans la perspective du scrutin du 7 septembre ?
R : Nous sommes penchés actuellement sur la question. Nos structures nationales adopteront les décisions adéquates qui traduiront sur le terrain la position d’Annahj Addimocrati.
Q : Appuyez-vous la candidature de Tanger à l’organisation de l’Expo inte
ationale de 2012 ?
R : En raison de la dégradation de la situation socio-économique à Tanger, nous avons d’autres priorités consistant à appuyer les couches populaires les plus défavorisées et à défendre leur droit à vivre dignement, leur droit au travail, à un logement décent, et à des prestations publiques gratuites, telles que la santé et l’éducation entre autres. Surtout que nous enregistrons une recrudescence dans la spéculation immobilière et diverses formes de dilapidation et d’occupation du domaine public. Sans oublier la prolifération de différents maux sociaux dangereux comme que le trafic des drogues, la contrebande, la mendicité, le vagabondage des mineurs, la prostitution, la violence et l’émigration clandestine…
Entretien réalisé par
ABDEL ILAH ABBAD
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