Le mot « Fiscalité » désigne toutes les lois se rapportant à la définition des impôts.
La fiscalité est un sujet d’actualité partout dans le monde. Chez nous, les 3èmes assises tenues les 3 et 4 mai à Skhirat, ont généré de multiples attentes et doléances dont la préoccupation du public devant l’apparente contradiction entre le ras-le-bol fiscal et la demande de service public quoique, dans un sens, on peut considérer que ces deux facteurs sont liés par deux principes majeurs : l’équité fiscale qui peut se traduire par une amélioration des recettes fiscales d’une part et l’efficacité dans la gestion de la dépense publique qui peut se traduire par un développement et une amélioration des services sociaux d’autre part.
A partir de là, on doit considérer que la fiscalité ne répond pas seulement à une fonction financière, mais aussi à une fonction de régulation économique ciblant des secteurs prioritaires vecteurs de croissance comme l’industrie, la recherche et le développement ; une fonction sociale impliquant une politique de redistribution par l’impôt progressif vers les plus pauvres ; une fonction territoriale, cherchant à réduire les inégalités fiscales sur le territoire national, mais aussi et surtout, une fonction politique, dans la mesure où l’impôt représente la contribution du citoyen au financement des politiques publiques d’intérêt général et où les opérateurs économiques sont appelés à assumer leur responsabilité. C’est cette fonction qui donne à la fiscalité une légitimité politique, qui conduit au civisme fiscal et au renforcement de la démocratie, sachant que civisme fiscal et démocratie sont profondément liés !
On peut donc résumer en se posant la question de savoir comment on peut réduire la pression fiscale tout en redynamisant la croissance et en améliorant le service public ?
Et c’est à ce niveau que devaient se situer essentiellement les débats et le défi majeur des assises de Skhirat !
Comment expliquer la nécessité et la portée de ces 3èmes assises fiscales ?
Il faut savoir que le monde évolue à grande vitesse, les technologies aussi ! La mondialisation et la concurrence internationale que subissent les entreprises commandent aux Etats de faire le point régulièrement sur les stratégies afin de se réadapter.
Sur le plan organisationnel, le Maroc a réalisé, depuis les années 80, des avancées au niveau de son système fiscal. relativement moderne et doté d’un code général des impôts unique qui regroupe toutes les dispositions fiscales régissant l’ensemble des impôts marocains, tous les aspects techniques relatifs à ces impôts et taxes comme l’assiette, l’évaluation, le recouvrement et le contentieux, tous les avantages fiscaux qui prennent la forme d’exonérations, de taux réduits, d’abattements, alors que ces avantages étaient autrefois dispersés dans des textes séparés.
Ce système fiscal a connu aussi des avancées importantes concernant les garanties données aux contribuables, notamment en matière de contrôle, ainsi qu’au niveau de la simplification et de la transparence.
Mais cela n’empêche pas que l’on doive, de manière régulière, faire un bilan de ce qui a été fait, et de qu’il reste à faire.
Les assises de la fiscalité sont donc un moment de réflexion, d’écoute, d’échanges et débats. Le but est de préparer une loi-cadre issue de ces débats et dont la déclinaison sera faite progressivement sur une durée de 5 ans. Elle définit des principes qui doivent répondre à nos préoccupations majeures actuelles et futures, et qui doivent s’inscrire en harmonie dans le nouveau modèle économique que le Maroc est en train d’élaborer sur hautes instructions royales.
Le problème est que, souvent, après la mise en place d’une loi-cadre, différentes mesures se trouvent introduites dans les lois de finances successives, pour répondre à des préoccupations ou à des pressions sectorielles ou catégorielles du moment. Tout cela se traduit par des distorsions du système fiscal et par une atteinte à sa cohérence.
Dans cette optique de mise à niveau, le Maroc a organisé ses premières assises fiscales en 1999, les deuxièmes en 2013, et voici que nous vivons, six ans après, au rythme des troisièmes assises organisées à Skhirat les 3 et 4 mai 2019.
La commission scientifique, qui a eu pour mission de préparer ces assises a, dès le départ, adopté une démarche marquée par une vision globale et complexe tenant compte de tous aspects de la vie économique, sociale, politique, géographique, culturelle et historique de la nation, agencés de manière coordonnée en vue d’atteindre l’objectif fixé dont celui de la convergence de tous les impôts vers les mêmes principes . De ce fait, la fiscalité ne devient qu’un instrument parmi d’autres en vue d’atteindre un objectif : le développement.
Evidemment, le concept de développement est plus global. Il comprend des indicateurs qualitatifs comme l’éducation, la culture et la santé, mais aussi des indicateurs quantitatifs comme la croissance économique.
Le point de départ des travaux a été de déterminer les principes qui doivent guider les réflexions, en respectant l’esprit de cohérence à savoir l’équité, la compétitivité, la stabilité, l’efficacité, la neutralité, la simplicité, la transparence, et la solidarité.
Concrètement, la société marocaine souffre de deux maux essentiels auxquels il faut remédier de toute urgence: le chômage des jeunes, en particulier les diplômés, et l’aggravation des inégalités.
Le taux de chômage atteint 26% chez les jeunes diplômés, alors qu’il n’est que de 4,50% chez les sans diplômes. C’est que les structures de l’économie marocaine n’ont pas évolué suffisamment pour être en mesure d’absorber les nouvelles compétences.
En théorie économique, on explique que l’investissement génère de la croissance qui génère des emplois. Ce n’est pas le cas au Maroc où le taux d’investissement est supérieur à 32% du PIB. Il ne crée pas suffisamment de croissance et d’emploi.
Ainsi, la croissance marocaine est de mauvaise qualité puisqu’elle est irrégulière, insuffisamment inclusive et mal répartie. On sait qu’une croissance faible génère des inégalités dans la mesure où le facteur capital se trouve mieux rémunéré que le facteur travail. Au Maroc, elle s’adresse en bonne partie à la production étrangère venant aggraver ainsi le déficit de la balance commerciale.
Il suffit de regarder la structure de la TVA à l’import qui est supérieure à la TVA intérieure.
Si le volume des investissements en infrastructures est indéniable, surtout au cours des 20 dernières années, les investissements productifs et créateurs d’emplois permanents ne sont pas à la hauteur de nos ambitions. Mises à part les branches automobiles et aéronautiques. Bien plus, la productivité n’évolue que très lentement. La productivité découle d’une combinaison ingénieuse entre le capital matériel et le capital immatériel. Elle est à la base de notre compétitivité.
D’autre part, le Roi avait appelé à prendre en considération le capital immatériel dans toute décision stratégique, avec ses trois composantes : le capital humain, le capital institutionnel et le capital social. Ceci en partant du constat que le royaume enregistre un retard considérable sur ce plan, en particulier dans le domaine de l’éducation, alors qu’il constitue le ferment de la productivité et de la compétitivité, source de création d’emplois. Si le travail est d’abord une source de dignité humaine, avant d’être une source de revenu, le chômage alimente les inégalités, et nuit à la cohésion sociale, qui est le ciment de l’identité et de l’unité.
Alors comment une nouvelle politique fiscale pourrait-elle contribuer à résorber ces déficits et à promouvoir la production nationale ? C’est la croissance économique qui crée des emplois et qui alimente aussi les recettes fiscales. Cela se calcule en termes d’élasticité ! Mais la politique fiscale n’est qu’un des instruments pour promouvoir la croissance. D’où la nécessité de l’inclure dans une vision globale en liaison avec d’autres instruments comme la politique monétaire, la politique des taux de change, l’évaluation des accords commerciaux, l’amélioration de la gouvernance, la rationalisation de la dépense publique, l’éducation etc.
La fiscalité doit inciter des types d’investissements productifs, et non créateurs de situation de rente. En créant des emplois, on participe à la réduction des inégalités.
Qu’en est-il maintenant de la pression fiscale qui est de 22,50 %. Moins de 1% des sociétés paient 80% de l’IS. Il en est de même de l’IR. 60% des recettes de l’IR proviennent des prélèvements à la source des salariés. 73% de l’IR sur salaires provient à peine de 4,30% des salariés. 50% du chiffre d’affaires déclaré provient de 387 entreprises seulement.
Ce n’est pas équitable ! Nous sommes en face d’une concentration excessive des recettes fiscales, qui traduit en fait certaines réalités de notre économie : le poids inégal dans la production nationale entre les grandes entreprises d’une part, et les PME- TPE et le petit commerce d’autre part.
Voilà donc quelques-unes des réflexions issues des travaux de la commission scientifique.
Voici, par ailleurs, les 10 mesures sur lesquelles le gouvernement s’engage :
- Consacrer dans le texte fiscal l’équilibre des droits et des obligations entre l’administration fiscale et le contribuable, et durcir les sanctions en cas de fraude fiscale.
- Intégrer la fiscalité de l’Etat, la fiscalité locale et la parafiscalité dans un seul Code Général des Impôts. Simplifier la fiscalité locale et harmoniser ses bases d’imposition et ses procédures avec la fiscalité de l’Etat, notamment pour la taxe professionnelle pour enlever tout frottement à l’investissement.
- Garantir la neutralité de la TVA par la suppression de l’effet du butoir sous conditions de la conformité et de l’élargissement de l’assiette ;
- Le ministère de l’Economie et des Finances a pris note de la forte demande exprimée à propos de la baisse du taux marginal de l’IS pour certains secteurs afin de dynamiser la création d’emplois et de favoriser l’innovation. Ce département a seulement exprimé sa compréhension, sans prendre d’engagement, estimant que la question sera soumise à des simulations et à un examen poussé.
- Normaliser progressivement les régimes appliqués à l’export, aux Zones franches d’exportation et à Casablanca Finance City;
- Abandonner progressivement la cotisation minimale en fonction du retour à la conformité des déficitaires chroniques ;
- Augmenter le taux marginal des activités protégées.
- Regrouper l’impôt sur le revenu et la taxe professionnelle dans une contribution professionnelle unique pour les petits commerçants et artisans qui exercent des activités génératrices de faibles revenus.
- Réaménager le barème de l’IR au fur et à mesure de l’élargissement de l’assiette de cet impôt et l’amélioration de la part de l’IR professionnel pour soutenir nos concitoyens à bas revenu et les classes moyennes.
- Accélérer la modernisation de l’administration fiscale par le parachèvement de la dématérialisation, la professionnalisation des métiers et la promotion des valeurs d’éthique et de transparence.
par le
Dr Abdelhak BAKHAT