par le Docteur Abdelhak BAKHAT
Decryptage d’une crise ambigüe
Traditionnellement chaleureuses et cordiales, les relations entre le Maroc et la France marquées par une tiédeur durant le quinquennat du Président Emmanuel Macron, n’ont jamais été aussi glaciales qu’aujourd’hui.
La faute est imputable à de petits accrocs qui s’accumulent et peinent à être résorbés, d’où la question de savoir si l’on serait face à une crise qui ne dit pas son nom ?
Allié historique de l’Hexagone, le Maroc était l’un des plus grands amis de la France avec lequel elle entretenait un partenariat d’exception. Aujourd’hui, tout va mal. Des tensions froides s’installent doucement entre Rabat et Paris.
En réalité, la relation entre le Maroc et la France a pris un tournant différent depuis que les Etats-Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur le Sahara. Cette position prise par le président Donald Trump à la fin de son mandat à la fin 2020, et aussitôt adoptée par son successeur le Président Joe Biden, semble avoir contrarié les calculs de la France et avoir privé Paris d’un moyen indirect de pression pour conserver, à sa manière et selon ses propres normes, ses intérêts dans le Royaume.
D’autre part, toujours pour protéger également ses intérêts en Algérie, et pouvoir continuer à souffler le chaud et le froid dans ce pays, l’Hexagone n’a jamais été franchement clair sur l’intégrité territoriale du Maroc et sur la Marocanité du Sahara.
Pour la France donc, on voit que, d’abord, les intérêts priment partout et sur tout et, fidèle à son « jeu d’équilibriste » dangereux entre Alger et Rabat, la France ne compte pas sacrifier ses intérêts économiques et politiques à l’un aux dépens de l’autre.
Or, maintenant le monde entier sait que la Première affaire nationale du Royaume du Maroc, n’est pas à négocier, et que le dossier du Sahara Marocain est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international,
En effet, dans son discours du 20 août 2022, le Roi Mohammed VI a clairement signifié que « Le dossier du Sahara Marocain est l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit ».
Le Souverain n’a ainsi laissé aucune marge à certains partenaires comme la France de continuer à se comporter comme auparavant avec le Maroc, main tendue, sourire aux lèvres, mais le sujet de l’intégrité territoriale du Royaume relégué à l’arrière plan comme un dernier souci.
«S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque», a insisté le Souverain, semblant s’adresser explicitement à la France sollicitée de réagir clairement et d’exprimer une position nette dans l’affaire du Sahara Marocain.
Cette nouvelle position du Royaume a pour objectif d’avancer, avec fermeté et transparence vers le règlement définitif de ce différend autour de la Marocanité du Sahara.
Pris au dépourvu, Paris fidèle à sa manière de se comporter envers les pays du Maghreb, a vite ressenti le besoin de trouver rapidement d’autres moyens de pression sur le Maroc, sachant que les donnes n’étant plus les mêmes, et le Maroc qui adopte des positions de plus en plus fermes sur sa question nationale, risquerait de changer de camp au détriment d’intérêts bilatéraux.
Paris a donc ressorti des tiroirs une affaire presque classée, accusant, de nouveau, les services de renseignements marocains d’avoir utilisé le logiciel d’espionnage Pegasus de la firme israélienne «NSO» pour cibler, en 2019, le président français Emmanuel Macron et son Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, en vue d’une surveillance de leurs téléphones.
Rejetant à nouveau «catégoriquement ces allégations mensongères et infondées», le gouvernement marocain a dit «opter pour une démarche judiciaire, au Maroc et à l’international contre toute partie reprenant à son compte ces allégations fallacieuses».
Ensuite, Emmanuel Macron a fait une visite à Alger ce qui n’a nullement dérangé le Souverain du Maroc qui, au contraire souhaite que les relations tendues de la France avec l’Algérie s’apaisent.
Simultanément, un autre événement intervient lorsque, dans une interview de l’ambassadeur chinois au Maroc, Li Changlin, accordée aux médias marocains, a révélé que Pékin aspirait à construire la deuxième ligne du train à grande vitesse (TGV) « Al-Boraq », qui reliera Casablanca et Agadir. « L’expérience chinoise dans le domaine de l’infrastructure est mondialement reconnue », a-t-il assuré.
Nouvelle contrariété pour la France qui tente de s’accaparer depuis un moment, du dossier de cette ligne TGV qui risque de lui échapper entre les mains.
D’un autre côté, en signant les accords d’Abraham, en réussissant à faire changer de position à l’égard du Sahara le voisin espagnol, le Royaume s’éloigne davantage de la France dont le soutien dans l’affaire du Sahara Marocain reste très mesuré, de peur de fâcher l’Algérie et d’y perdre ses intérêts.
Maintenant que l’Espagne a exprimé un avis ferme et transparent sur la question du Sahara, elle a comme un peu remplacé la France qui considère cette évolution comme une menace, car le Maroc solidifie de plus en plus ses relations avec le pays ibérique et accentue avec lui ses échanges commerciaux surtout en termes d’énergie et d’agriculture.
En septembre 2021, Paris annonçait de réduire de 50 % le nombre de visas pour les Marocains, en raison dira-t-on, du « refus du pays de rapatrier ses ressortissants en situation irrégulière en France ».
Ainsi, près de 70% des demandes de visa en provenance du Maroc sont rejetées par les autorités consulaires françaises sans justification claire, attisant à la fois la colère des demandeurs et de la société civile.
Chefs d’entreprise ou salariés ayant des rendez-vous, scientifiques invités à des colloques, artistes, parents souhaitant installer un enfant étudiant dans l’hexagone, familles s’y retrouvant pour les vacances… Depuis plusieurs mois, nombre de Marocains font les frais de ce bras de fer diplomatique et se voient refuser des visas Schengen par les autorités consulaires françaises, pour des motifs souvent jugés arbitraires.
Selon les données du ministère français de l’Intérieur, environ 69.408 demandes marocaines seulement ont été acceptées en 2021, contre 98.000 en 2020, 346.000 en 2019, 303.000 en 2018 et 295.000 en 2017.
Le sujet continue d’empoisonne les relations entre Paris et Rabat, sous le feu roulant des critiques, la mesure suscite une indignation croissante au sein de la société marocaine. Sur les réseaux sociaux, dans les médias, les témoignages de citoyens atterrés et humiliés par des refus de visas se mêlent à des commentaires acerbes à l’égard de la France, à des appels au principe de réciprocité pour les Français se rendant au Maroc.
A leur tour, intellectuels et acteurs de la société civile sont montés au créneau, à l’instar de la Société marocaine d’ophtalmologie, dont les membres n’ont pas pu assister au congrès annuel de leurs confrères français en mai, faute de visas. « Nous y allons chaque année et c’est la première fois que cela se produit, rapporte son président, précisant :
« Je parle de médecins du secteur libéral, internes, chefs de service, chefs de clinique qui, pour la plupart, ont étudié en France. Certains devaient y présenter leurs travaux scientifiques. »
C’est aussi le cas de l’Association marocaine des droits humains qui, le 30 août, appelait la France à cesser son « arrogance » et à « respecter le principe de la libre circulation », tandis que la Fédération marocaine des droits du consommateur exige la restitution des frais de visas non délivrés. « Arrêtez de vous prosterner pour avoir un visa. Le pays qui vous snobe (…), zappez-le », exhorte-ton sur les réseaux sociaux.
Tous ces jeux d’équilibre entre Paris et Rabat sont dangereux pour les relations futures entre les deux pays. Mais, le Royaume du Maroc est prêt à tout sacrifier pour son intégrité territoriale. Emmanuel Macron le sait maintenant.
Ainsi, le Président Français pourrait se rendre au Maroc, C’est du moins ce qu’il avait affirmé le 27 août dernier en annonçant sa visite au Royaume à la fin de ce mois d’octobre.
Serait-ce pour apaiser les relations plus que tendues avec Rabat ?
Dans tous les cas, ce dont-il peut continuer d’être sûr, c’est que « le dossier du Sahara Marocain est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit » … !