par le Docteur Abdelhak BAKHAT
L’école publique en quête d’un nouveau souffle
Si l’on veut réellement et courageusement revenir, encore une fois, sur les lacunes identifiées du secteur de l’Education nationale au Maroc, il est nécessaire de remonter loin dans l’histoire du pays, et désigner du doigt les vraies causes qui ont conduit l’enseignement marocain à la déroute puis à l’impasse, dès la première moitié des années cinquante.
A cette époque où la politique marocaine était dominée par des partis politiques dits nationalistes, ceux-là mêmes qui envoyaient leurs enfants dans les écoles étrangères de l’Europe occidentale, on avait décidé l’arabisation de l’enseignement du calcul au primaire à l’école marocaine. Cette décision marquait le début de la malédiction.
Deux années, plus tard, c’était le désaveu et le prétexte pour déclarer à tous les niveaux dudit cycle, une année blanche. On voulait gagner du temps, briser l’élan des élèves sans savoir comment s’y prendre…
Au sommet de la pyramide des causes de ce fiasco de notre politique éducative, on retrouve une volonté délibérée de certains responsables, manifestée dés l’aube de l’indépendance avec , cette fois, l’instauration de critères sélectifs dans les cycles de l’enseignement. La classe laborieuse suscitait déjà la méfiance et il fallait mettre un terme à ses ambitions exprimées à travers l’inscription de ses enfants à l’école…
En effet, dés le début des années soixante, les parents avaient été obligés de choisir, au profit de leurs enfants, entre « un enseignement court » pour les pauvres et qui devait aboutir au certificat d’études secondaires ( C.E.S), à la fin du collège, ou bien un enseignement moyen pour la classe moyenne et qui devait être sanctionné à la fin du lycée, par des études à caractère technique, ou enfin un enseignement long destiné aux riches et pouvant mener aux études supérieures.
Trois années plus tard, le système faisait ses premières victimes avec l’instauration d’un curieux verdict : l’arrêt d’études imposé à un nombre important d’élèves qui se retrouvèrent à la rue puisque, même avec de bonnes moyennes générales, ils ne pouvaient accéder au lycée, leurs parents avaient choisi pour eux l’enseignement court…ne donnant pas accès aux études secondaires.
Et pas seulement ! car beaucoup d’élèves du lycée se heurtaient , à leur tour ,à l’interdiction d’accéder aux différentes facultés disponibles. Or il n’y avait point de grandes écoles de spécialisation dans le pays et l’accès aux études supérieures à l’étranger était permis aux seuls enfants de riches! Les autres réussissaient à trouver du travail ou bien retournaient dans la rue …
Et malgré tant d’obstacles, les rangs gonflaient dans les écoles.
C’est alors qu’un certain Ben Hima, ministre de l’Education nationale à l’époque, n’en pouvant plus, déclara sans détours que : « pour le gouvernement, seul un élève sur vingt pouvait et/ou devait arriver au baccalauréat ! ».
Autrement dit, les échecs de notre enseignement étaient bel et bien prémédités, planifiés…
Et pour ce faire, deux décisions ont été prises pour boucler la boucle : la marocanisation des cadres et l’arabisation – oui encore l’arabisation – des matières scientifiques, décisions au résultat néfaste, proposéés par les mêmes partis de la scène politique à l’époque dont les enfants continuaient à glaner de hauts diplômes à l’étranger leur permettant d’occuper des postes de responsabilité, une fois rentrés au pays.
C’est ainsi que, l’une après l’autre, ces mesures imposées par une minorité de politiciens, calculées, planifiées au profit d’une couche sociale nantie, commencèrent à étouffer l’enseignement.
Le pire, c’est que, outre les sureffectifs exorbitants d’élèves dans les classes, les enseignants chargés de cours étaient admis n’importe comment , avec parfois 7/ 20 de moyenne au concours de recrutement. Mais peu importe puisque cela ne concernait que l’école populaire, celle des pauvres !
Et quand, par hasard, une approche pédagogique réussissait comme « l’approche ensembliste pour l’enseignement des mathématiques », surtout, une approche expérimentée chez-nous et qui nous avait assuré une avance de six années sur la France, on se hâtait de la supprimer tout court….
Bien sûr, une fois le fruit complètement pourri, tout le monde se mit à crier au désastre et à chaque fois le remède s’est avéré être plus grave que le mal : que d’approches pédagogiques, que de méthodes… …que de larmes de crocodile versées pour la « bonne cause ». Et jamais ministre n’avait accepté la politique de rapiéçage de son prédécesseur…Chaque nouvel arrivant criait au désastre et c’est tout… !
Aujourd’hui, le ministre de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, Chakib Benmoussa, se montrant conscient que « notre système éducatif est une relique du passé et qu’il est temps d’intégrer le présent », affirme que son ministère entend organiser des consultations nationales pour améliorer les écoles publiques.
Selon le ministre, son département aurait déployé – en théorie – d’importants efforts de réforme de l’éducation, notamment grâce à son initiative visant à engager un débat institutionnel avec les différentes parties prenantes, pour contribuer, dira-t-il, à l’enrichissement de sa « feuille de route 2022-2026 » concernant l’école publique, progresser vers un système d’éducation meilleur et plus équitable et réussir la réforme de l’école publique qu’il considère comme un enjeu déterminant pour le développement du Maroc. Il assure que les défauts et les lacunes du système éducatif sont connus dans tous les détails et qu’ils ont été investis dans l’élaboration de ladite feuille de route.
Pour le moment, nous n’apprenons rien de concret sur le contenu et les propositions de cette feuille de route quinquennale, mais nous avons attendu trop longtemps pour patienter encre le temps qui reste à ce train en marche pour arriver à destination…
En attendant, rappelons seulement qu’en pleine débâcle de l’Enseignement public, nous avons assisté à la naissance de l’Enseignement privé au Maroc.
En face, donc, d’un système public essoufflé et à la dérive, on trouve un secteur privé en pleine expansion, rayonnant, profitant de la faiblesse de l’école populaire pour prendre le maximum de parts d’un marché juteux – car c’est devenu un véritable marché – non sélectif et surtout hors de prix pour la famille marocaine, dans sa très grande majorité modeste…!
C’est là un sujet d’une autre ampleur sur lequel nous pourrions revenir ultérieurement, dans toute sa dimension.