par le Docteur Abdelhak BAKHAT
Quels futurs changements dans le Code de la Famille ?
Dans Son discours du Trône adressé à la Nation, le 30 juin 2022, le Roi Mohammed VI a appelé à une nouvelle révision de la « Moudawana » ou « Code de La Famille » qui définit dans sa mouture actuelle élaborée depuis 18 ans, le Statut de la Femme Marocaine,
Codifié, à l’origine, en 1958, au lendemain de l’indépendance, ce Code a été amendé une première fois en 1993, puis révisé en 2004 et promulgué le 10 octobre 2004. Cette dernière révision a amélioré, entre autres, les droits des Femmes en y apportant des changements positifs..
Ainsi, depuis 2004, la famille est placée sous la responsabilité conjointe des deux époux et non plus seulement sous celle exclusive du père ; la règle de « l’obéissance de l’épouse à son mari » est abandonnée ; la femme n’a plus besoin de tuteur pour se marier ; l’âge minimum légal du mariage est passé de 15 ans à 18 ; tout en restant autorisé ce qui ouvre la porte à plusieurs échappatoires ; la polygamie devient plus difficile et le consentement de la première épouse devient obligatoire ; la répudiation est soumise à l’autorisation préalable du juge alors qu’auparavant, c’était un droit exclusif du mari, ce qui n’est plus le cas et la simple lettre de répudiation qui était seulement établie devant deux responsables religieux ( adouls ), ne suffit plus ; la femme peut demander le divorce et les conditions de demande sont assouplies ; l’obligation de l’époux de subvenir aux besoins de sa femme et celle de la femme d’obéir à son époux ont été remplacées par l’obligation de l’époux de subvenir seul aux besoins du ménage et le droit des deux époux de gérer mutuellement les affaires du foyer; lors d’un divorce, le parent qui obtient la garde des enfants conserve le domicile familial ; la consolidation de la cohésion de la cellule familiale à travers l’adoption d’un Code avancé, consacrant le principe de respect de l’intérêt supérieur de l’enfant et assurant, en toutes circonstances, la protection de ses droits ; le harcèlement sexuel est considéré comme une faute et puni par la loi.
Il est donc indéniablement vrai que le Code de la famille de 2004 a constitué une avancée indiscutable lors de son adoption. Il a introduit des avancées notables en matière des droits des femmes au sein de la famille et a contribué à initier un processus de changement des mentalités et la perception des relations homme-femme au sein de la famille marocaine.
Tels sont les fondamentaux qui caractérisent la Moudawana actuelle. Néanmoins, après 18 ans de mise en œuvre, une révision de plusieurs de ses dispositions s’avèrerait être un impératif nécessaire afin de les adapter, en premier lieu, aux acquis constitutionnels, aux mutations sociales, économiques, culturelles et politiques mais aussi de les harmoniser avec les conventions internationales ratifiées par le Maroc et les nouvelles recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (CEDAW),
Maintenant, la question qui revient sur toutes les lèvres depuis le dernier Discours Royal, serait celle de savoir « quels sont les ratés de la Moudawana actuelle ? et en quoi consisterait la nouvelle réforme préconisée par le Roi Mohammed VI ? ».
Un première réponse nous est venue à chaud, de la présidente du Conseil national des Droits de l’Homme (CNDH), Amina Bouayach.
« Le discours royal a annoncé une nouvelle étape dans la marche pour la consolidation de l’égalité entre les hommes et les femmes et érige le principe de la parité comme objectif fondamental pour le pays » indique la présidente du CNDH, estimant que la volonté et l’engagement à promouvoir la condition de la femme et à assurer la pleine jouissance de ses droits légitimes, est une urgence car, dira-t-elle, «dans le Maroc d’aujourd’hui, il n’est plus possible qu’elle en soit privée !».
Mme Bouayach estime que, depuis 18 ans, plusieurs problématiques et défaillances sont en relation avec le texte de la loi et son application, telles que l’ambiguïté et l’imprécision de certaines dispositions entrainant une interprétation divergente, faute de formation spécialisée en matière de questions familiales,
« Il y a aussi la persistance des mentalités récalcitrantes à l’autonomisation des femmes et des facteurs de blocages socio-culturels qui gênent l’effectivité des droits de la femme », affirme-t-elle, expliquant que l’homogénéisation des différentes dispositions entre la sphère publique où la femme joue un rôle croissant dans la vie publique, dans l’entreprise, dans les institutions, et la sphère privée où elle est toujours prisonnière de schémas dépassés, alors que les droits sont indivisibles entre le civil, le politique, le pénal et le familial.
Le code de la famille nécessite une attention particulière, conçoit la présidente du CNDH, citant certaines problématiques persistantes, telles que
– le mariage des mineurs qui n’a fait que s’accroître depuis l’adoption de la Moudawana en 2004, alors que le but était d’éradiquer ce fléau que le code de la famille a gardé comme une exception ;
– la tutelle des enfants sachant que les femmes ne peuvent accéder à cette tutelle légale sur leurs enfants mineurs que sous certaines conditions. (Absence du père, son décès ou incapacité juridique). En cas de divorce, le père reste toujours le tuteur légal des enfants alors même que leur garde est confiée à la mère avec toutes les entraves et complications que cela crée dans la vie des enfants et de la mère divorcée (problèmes administratifs, scolarisation, gestion des biens…) ;
– les biens acquis durant le mariage : difficultés de partage des biens entre époux, en cas de divorce ou de décès du conjoint sachant que le contrat de gestion des biens familiaux est rarement établi, ce qui conduit généralement à la privation de la femme de sa part de ces biens acquis lors de la vie conjugale;
– la perte du droit de garde des enfants en cas de remariage de la mère, alors que le père ne subit pas la même privation. En plus d’être une violation flagrante du principe de l’égalité homme/femme, ces dispositions poussent les mères vers des mariages coutumiers ou arrangés rien que pour ne pas perdre la garde de leurs enfants;
– la problématique des compensations dues à la femme en cas de divorce et l’appréciation des pensions dues à l’épouse et aux enfants, comme la perte du droit à la « Mout3a » en cas d’introduction par l’épouse de requête de divorce pour discorde.
On estime, d’autre part, que la réforme envisagée constitue une précieuse occasion pour avancer dans le débat sur la question de l’héritage et de la trancher une fois pour toutes, partant du fait que les questions liées au régime des successions ne sont pas toutes soumises au Texte Coranique, et que certaines peuvent être discutées dans le cadre de la jurisprudence (Ijtihad).
Ainsi, d’une manière générale, il s’agirait d’évaluer les insuffisances de la Moudawana et les obstacles auxquels se heurte son application et de poser de nouvelles bases du Code de la Famille au Maroc avec l’élaboration d’une nouvelle génération de lois qui sachent répondre aux impératifs dictés par une société en rapide mutation, mais également en harmonie avec les engagements du Maroc en matière de traités et de recommandations émises par les mécanismes internationaux.