Le Maroc a adopté le multipartisme depuis son indépendance en 1955. On remarque cependant une balkanisation du champ politique marocain, qui compte une trentaine de partis, à tel point que certains partis obtiennent des scores très serrés aux législatives et parviennent difficilement à se mettre d’accord sur la formation d’un gouvernement.
Les élections sont tenues à un niveau national pour la législature. Les 395 membres de la Chambre des Représentants, qui constitue la Chambre basse du parlement marocain, sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct, au scrutin de liste à la proportionnelle.
Les 270 membres de la Chambre haute, la Chambre des Conseillers, sont élus pour neuf ans avec renouvellement par tiers tous les trois ans. Ils sont, par ailleurs, élus au suffrage indirect par les élus des chambres professionnelles, des salariés et des collectivités locales.
En prévision des échéances électorales de 2021 qui s’annonce une année électorale par excellence, devant connaître les élections législatives, communales, régionales et professionnelles, des partis de l’opposition ont présenté un mémorandum exposant leur vision commune sur le déroulé des futures échéances électorales.
» Nous recommandons que le seuil électoral et financier soit unifié à 3%. Cela signifie que les listes électorales qui participeront à la répartition des votes dans toutes les élections, communales, régionales, législatives, préfectorales, provinciales, chambres professionnelles seront celles qui obtiendront au moins 3% des votes, abstraction faite de la taille et de la nature de la circonscription électorale »», précise le mémorandum qui préconise aussi de remplacer la liste nationale par des listes régionales dédiées aux femmes et aux jeunes candidates et candidats. Le tout, en augmentant le nombre de sièges destinés aux listes nationales.
D’autre part, et c’est le plus important, la méthode de calcul du quotient électoral qui reposait, jusqu’à présent, sur le total des voix valides, sera désormais, remplacée par une formule basée sur le nombre des inscrits sur les listes électorales
En d’autres termes, l’amendement tend à répartir les sièges à la Chambre des représentants sur la base d’un quotient électoral calculé sur le nombre d’électeurs inscrits, et non plus sur les votes valides. Le reliquat des sièges sera réparti au plus fort restant. L’objectif est d’ouvrir la voie à toutes les forces politiques pour la participation à la décision à travers l’institution législative.
Les auteurs du mémorandum recommandent aussi d’abroger la carte d’électeur et de la remplacer par la carte d’identité nationale, le passeport ou tout document officiel ayant force probante.
C’est un véritable tournant pour les élections législatives marocaines.
La commission parlementaire de l’Intérieur a adopté, le mercredi 3 mars courant, à la majorité, l’usage d’un nouveau quotient électoral pour les élections de 2021, contre la volonté du parti de la justice et du développement (PJD), parti islamiste au pouvoir qui, quoiqu’isolé, a continué à défendre, sans succès, le maintien du système actuel.
Le mode de calcul du quotient électoral étant déterminant lors des élections législatives, ce paramètre est désormais modifié, ce qui aura une influence et des conséquences sur le score des partis.
Jusqu’à présent, la méthode de calcul du quotient électoral reposait sur le total des voix valides; désormais, elle sera remplacée par une formule basée sur le nombre des inscrits sur les listes électorales.
En d’autres termes, l’amendement tend à répartir les sièges à la Chambre des représentants sur la base d’un quotient électoral calculé sur le nombre d’électeurs inscrits, et non plus sur les votes valides. Le reliquat des sièges sera réparti au plus fort restant. L’objectif est d’ouvrir la voie à toutes les forces politiques pour la participation à la décision à travers l’institution législative.
Une telle modification peut entraîner d’énormes changements dans la configuration de la Chambre des représentants, voire même du pouvoir exécutif, puisque c’est au sein de la formation arrivée en tête du scrutin que le Roi nomme le Chef du gouvernement.
Ce changement peut s’expliquer par des exemples comparatifs entre l’actuelle méthode et la nouvelle.
1er exemple : Supposons une circonscription où il y a 5 sièges en jeu et que lors des élections, il y a eu 100.000 votants. Ici, on divise 100.000 par 5 pour obtenir le quotient électoral, soit 20.000 votes pour chaque siège.
Dans cette circonscription fictive, il y a 5 partis qui ont, chacun, présenté une liste de candidats. Résultats des votes : la première liste obtient 44.000 voix, la seconde 28.000, la troisième 13.000, la quatrième 10.000 et la cinquième et dernière 5.000 voix.
L’actuelle méthode de calcul du quotient électoral repose sur le total des voix valides. Elle est remplacée, suite à l’examen des projets de lois organiques sur les élections, par une formule basée sur le nombre des inscrits sur les listes électorales, sachant que le quotient électoral dans ce cas de figure est de 20.000 ; cela signifie que seules les première et seconde listes ont réussi à obtenir des sièges (2 pour la première et 1 seul pour la seconde). Mais dans cette circonscription, il y a 5 sièges en jeu. Comment et à qui seront-ils octroyés ?
Comme on utilise la méthode du “plus fort reste”, on commence par soustraire le quotient électoral du nombre de voix obtenues, et les voix restantes seront par la suite comparées.
Concrètement, la première liste qui a raflé 44.000 voix a obtenu 2 sièges (2 x 20.000), mais il lui reste 4.000 voix.
La seconde liste a obtenu un seul siège (donc 28.000 – 20.000), il lui reste donc 8.000 voix. Pour les autres, qui n’ont pas atteint le quotient électoral, il n’y a rien à soustraire.
Liste 1 : 44.000 – (2 x 20.000) = 4.000 voix restantes
Liste 2 : 28.000 – 20.000 = 8.000 voix restantes
Liste 3 : 13.000 – 0 = 13.000 voix restantes
Liste 4 : 10.000 – 0 = 10.000 voix restantes
Liste 5 : 5.000 – 0 = 5.000 voix restantes
On en arrive donc à une sorte de “deuxième tour”, pour comparer les voix restantes. Il en ressort que la troisième liste, qui en a 13.000 voix, arrive en tête et obtient 1 siège. Idem pour la quatrième.
Ainsi, les 5 sièges sont répartis entre 4 partis politiques, dont 2 octroyés à celui arrivé en tête des suffrages avec 44.000 voix.
En gardant l’exemple de cette circonscription avec les mêmes résultats des votes, mais en utilisant cette fois un quotient électoral calculé sur la base de la nouvelle formule des inscrits aux listes électorales, nous verrons que les résultats relatifs au nombre de sièges distribués vont changer.
Supposons que le nombre des inscrits est de 200.000 personnes et que le nombre de sièges en jeu est toujours 5. Le quotient électoral sera donc : 40.000 (200.000 / 5). Autrement dit, la valeur du siège a augmenté.
Le parti politique qui a raflé les 44.000 voix obtient, via cette méthode de calcul, un seul siège au lieu de deux. Les 4 autres partis n’ont pas atteint le quotient électoral, il faut donc appliquer la méthode du “plus fort reste” qui va permettre de distribuer des sièges à tous les partis, puisque chacun obtiendra 1 siège.
En effet, tout le monde va avoir un siège, soit 5 partis politiques qui vont représenter cette circonscription avec un siège chacun, sachant que celui qui n’a reçu que 5.000 voix a le même nombre de sièges que celui qui en a reçu 8 fois plus. Il s’agit d’une incohérence qui fait sortir une carte politique balkanisée et qui affaiblit les grands partis.
Second exemple comparatif : supposons le même scénario que le premier, avec une circonscription où il y a 5 sièges en jeu avec une liste de 5 députés à élire et où 200.000 personnes sont inscrites sur la liste électorale, parmi lesquelles 40.000 seulement ont voté.
Résultats :
Parti A : 20.000 voix
Parti B : 10.000 voix
Parti C : 5.000 voix
Parti D : 3.000 voix
Parti E : 2.000 voix
Calculé sur la base des votes exprimés et valides, le quotient électoral est ici de 8.000. Ce qui permet au parti A d’obtenir 2 sièges et au parti B d’en avoir 1 seul. Les deux sièges restant seront répartis au « plus fort reste » soit 1 siège pour le parti C puis encore 1 siège pour le parti A, à qui il reste 4 000 voix.
Avec une méthode de calcul basée sur les inscrits aux listes électorales, le quotient électoral sera de 40.000 (soit 200.000 / 5).
Dans ce cas, aucun de nos 5 partis n’aura obtenu assez de voix. Mais en appliquant la nouvelle méthode du “plus fort reste”, tous les partis vont obtenir un siège chacun. Encore une fois, celui qui aura reçu 20.000 voix (parti A) aura le même nombre de sièges que celui qui en a reçu 10 fois moins (parti E).
On comprend ainsi que la modification de la formule du quotient électoral peut profondément impacter les résultats. Un tel changement va également influencer les campagnes électorales et les stratégies des partis politiques.
Venons-en maintenant au PJD, seul parti politique à avoir voté contre cet amendement. Pourquoi ?
Si tous les députés se sont montrés favorables à ces changements, seuls ceux du Parti islamiste au pouvoir (PJD) ont fait l’exception en se montrant, tout au long de la phase des négociations, isolés sur ce point, estimant que le calcul du quotient électoral sur la base des inscrits sur les listes électorales diminue les chances des «grands partis» d’obtenir plus d’un siège dans une même circonscription, jugeant cette méthode anti-démocratique, allant jusqu’à considérer ce changement comme un complot visant à affaiblir ce parti aux prochaines élections, sachant qu’en 2016, le mécanisme du calcul du quotient sur la base du total des voix valides avait permis au PJD d’obtenir 27,14 % des voix et de décrocher 31,64 % des sièges, avec 17 sièges supplémentaires, à la Chambre des représentants, Le PJD n’était pas le seul parti politique à avoir bénéficié de l’ancienne méthode, car d’autres partis ont également tiré profit, mais dans une moindre mesure.
Cette fois, avec la nouvelle formule, le parti de la Lampe est sûr de perdre plusieurs sièges.
En coulisses, certains acteurs politiques tiennent à expliquer que le but n’est nullement d’empêcher le PJD ou un quelconque autre parti d’obtenir la première place, mais plutôt de diminuer l’écart en termes de résultats entre les formations partisanes. Il s’agit aussi, selon eux, de favoriser le multipartisme et de permettre la représentativité des petits partis dans les instances élues.
En cette année 2021, on sera donc loin des législatives de 2016 qui ont vu arriver en tête le Parti de la justice et du développement (PJD) mené par le Chef du gouvernement Abdel-Ilah Benkiran, pour un second mandat à la tête de l’exécutif.
Benkiranne est ainsi reconduit par le Roi à son poste de chef de gouvernement, mais l’opposition des autres partis envers sa personne conduit à un blocage dans les négociations, qui restent au point mort pendant près de six mois. Son incapacité à former un gouvernement issu de la nouvelle composition de la chambre l’amène à se retirer en faveur de Saâdeddine El Othmani, qui est nommé Chef du gouvernement par le Roi le 17 mars 2017. Le parti conservateur islamique forme alors une large coalition excluant les libéraux centristes du Parti authenticité et modernité (PAM) et la droite nationaliste du Parti de l’Istiqlal, arrivés respectivement deuxième et troisième du scrutin.
Or, autre temps, autres conditions : les dirigeants du PJD sont maintenant conscients qu’avec la nouvelle formule électorale, les chances sont égales pour l’ensemble des partis politiques dans la course aux législatives car le nouveau mode de calcul du quotient électoral sur la base des inscrits sur les listes électorales permettra de doper le résultat de plusieurs partis politiques au détriment d’autres dont le PJD et le PAM qui se croyaient, jusque-là, les plus performants sur la scène politique nationale, particulièrement dans des régions bien définies, comme celle du Nord pour le PJD. C’est pour cela que le parti de la Lampe continue à s’accrocher à souligner la nécessité de rationaliser l’échiquier politique en luttant contre la balkanisation.
En réponse, ses adversaires plaident pour le pluralisme politique.
Pour et contre tous, Il y a tout de même une contrainte à ne pas écarter : le système, nouvellement adopté, risque d’intensifier les blocages au niveau de la constitution de la majorité gouvernementale, car il ne permet à aucun parti de se démarquer de ses concurrents et d’obtenir, à lui seul, une majorité confortable. Ce qui risque de déteindre la formation du gouvernement et l’homogénéité de l’équipe gouvernementale.
C’est une expérience à vivre et, qui vivra verra !
Dr Abdelhak BAKHAT