Propos recueillis par Sali B.O
Dans cet entretien accordé à notre hebdomadaire, Mustapha Saha, sociologue, poète, artiste et peintre, brosse un tableau sans complaisance de la situation du droit d’auteur au Maroc. Il propose également des pistes permettant de retrouver un « véritable » droit d’auteur.
Le Journal de Tanger : Dans une récente tribune, vous vous penchez sur la problématique du droit d’auteur au Maroc. Pouvez-vous, d’entrée de jeu, apporter des précisions sur ce qu’est le droit d’auteur ?
Mustapha Saha : Tayeb Saddiki disait : « la différence entre l’artisanat et l’art, c’est la signature ». Le droit d’auteur est une reconnaissance publique, historique, éthique du créateur. L’étymologie du mot auteur, du latin auctor, est éclairante à cet égard. L’auteur est l’initiateur, l’inventeur, la cause première d’une chose, matérielle ou spirituelle. Jusqu’au quinzième siècle, les créateurs, artistes, penseurs, poètes, écrivains, et leurs œuvres passaient à la postérité parce qu’ils étaient mécénés par un seigneur. A partir de l’invention de l’imprimerie par Johannes Gutenberg en 1454, la reconnaissance juridique des auteurs devient une question patente. Les lois de janvier 1791 et de juillet 1793, promulguées par la Révolution française, octroient aux écrivains le droit exclusif d’autoriser la reproduction de leurs œuvres. Le droit d’auteur est composé du droit moral, perpétuel, imprescriptible, inaliénable, transmissible aux descendants, qui donne à l’auteur la paternité de l’œuvre, et des droits patrimoniaux qui confèrent un monopole d’exploitation pour une durée déterminée, soixante-dix ans en général après le décès de l’auteur.
Le Journal de Tanger : Selon votre diagnostic, le droit d’auteur au Maroc serait dans une situation catastrophique, avec certains auteurs « privés de tous droits ». Quels sont les raisons de cette condition ?
Mustapha Saha : Au Maroc, les droits d’auteur sont actuellement régis par la loi de 2006, qui reprend globalement la loi française. Une loi notoirement contournée par les éditeurs. Les publications se font souvent sans contrat, sans engagement, et quand un contrat est établi, la plupart des auteurs ne reçoivent aucune rémunération. Les écrivains, trop heureux d’être édités, de matérialiser leur écriture en livre, renoncent de facto à leurs droits. En dehors de quelques librairies historiques dans les grandes agglomérations, les réseaux de diffusion, de distribution, de vente sont insuffisants, défectueux. Les personnalités nanties, soucieuses de leur propre prestige, recourent à des prête-plume, financent l’édition de leurs ouvrages. Le ministère de la Culture accorde périodiquement des subventions aux éditeurs et aux libraires, sous forme d’acquisitions, de dix millions de dirhams en moyenne, une somme insuffisante pour assainir un secteur de l’édition en souffrance chronique. Des initiatives citoyennes pallient comme elles peuvent les carences en bibliothèques. Il demeure des obstacles structurels, les prix inabordables des livres importés, l’absence d’une politique d’incitation à la lecture, auprès des jeunes notamment, le désintérêt pour les livres d’une population captive de la débilisation télévisuelle.
Le Journal de Tanger : Les publications alternatives sur internet aggravent-elles la situation ?
Mustapha Saha : les marocains sont addicts aux réseaux sociaux. Internet entretient des tendances décomplexées de narcissisme, d’exhibitionnisme, d’autolâtrie. La lecture sur le web, furtive, éphémère, volatile, ne laisse aucune trace dans la mémoire. L’impact des images est instantané, agressif, fugace. La toile peut s’avérer utile à tire informationnel. Elle ne peut d’aucune manière remplacer la lecture sur papier. Les e-bouks, les livres électroniques, les livres numériques, fatiguent les yeux, stérilisent l’attention. Sur internet, tout s’emporte dans les avalanches communicationnelles. Jamais l’industrie du livre n’a été aussi florissante qu’aujourd’hui. Des best-sellers, matraqués par le marketing, vite lus, vite jetés. Les littératures authentiques, les productions fécondes, ne sont suivies que par une minorité d’initiés.
Le Journal de Tanger : Comment retrouver, de manière concrète, « un véritable droit d’auteur au Maroc » ?
Mustapha Saha : Les éditeurs marocains, comme ailleurs, ne sont préoccupés que par la concurrence, la rentabilité, les profits. Toutes les sources de revenus sont interceptées, sans scrupules. Ils imposent leurs pratiques contestables comme des usages irréfutables. Ils rentabilisent machiavéliquement la crise de leur secteur, culpabilisent leurs interlocuteurs institutionnels, ignorent cyniquement leurs propres auteurs. La politique du livre, de la lecture, la protection des écrivains et des artistes, doivent être revus en amont par la création de bibliothèques partout, la promotion d’émissions culturelles aux heures de grande écoute, la généralisation d’animations socioculturelles à la base, dans les localités urbaines et rurales, la détection et l’accompagnement substantiel des vocations littéraires, artistiques.