La Guerre du Rif : Mohamed Ben Abdelkrim (3)
Le 15-04-2015 à 11:31:53
Mémorial du Maroc (Tome V) : 3ère partie
Comme de juste, les événements du début du 19ème siècle, allaient mettre à l’épreuve le patriotisme des Rifains. Il faut les suive même à grandes enjambées.
En 1912, la France opérait sa mainmise sur le Maroc par la signature du traité du protectorat. L’Espagne, qui attendait sa part du gâteau, dut se contenter, après de multiples démarches diplomatiques et interventions pressantes auprès de la France, d’une petite « zone d’influence », réduit aux pays des Jbala et du Rif . Elle devenait, en quelque sorte, une « sous-locataire » de la France, en se résignant à signer avec elle le traité du 27 novembre 1912. Ceci est bien explicite, dans l’important travail de Germain Ayache « La guerre du Rif » : » la France, se réservant la part du lion, ne lui avait laissé que la portion congrue : une bande côtière d’un peu plus de trois cents kilomètres en longueur et d’une soixantaine en largeur, allant de l’océan et du détroit, à l’Ouest, jusqu’à la Moulouya, tout près de l’Algérie, à l’Est. Un peu plus de 20.000 kilomètres carrés au total, un vingt-cinquième à peine, de la superficie du Maroc actuel.
Ce petit territoire presque tout recouvert par le massif rifain, était pour les deux tiers, un terrain montagneux et inculte, seuls étaient cultivables et fertiles, le chapelet de mamelons bien arrosés du versant sud, le mince liseré de la côte atlantique et quelques échancrures dans le versant qui surplombait la méditerranée. A l’Est de la chaine se trouvaient bien des plaines, un peu moins exigües. Mais c’étaient des cuvettes que désolait un an sur deux la sécheresse…
En vérité, l’Espagne, au lendemain de la défaite de Cuba, survenue de la fin du siècle de
ier, avait besoin d’une compensation, si symbolique fut-elle, pour relever le moral qui s’était partout dégradé dans la société espagnole, depuis les milieux dirigeants jusqu’aux masses populaires, mécontentes du surcroit des difficultés économiques du moment. L’Angleterre qui, de son côté, s’inquiétait sérieusement des visées françaises sur le Maroc, à cause de son importante base de Gibraltar, ne laissa la France agir à sa guise qu’après avoir obtenu d’elle, qu’elle consente à réserver la bande de la côte méditerranéenne à l’Espagne, qui devait y occuper, ainsi, une position de « planton ».
L’Espagne dut, en tout cas, faire contre mauvaise fortune bon cœur et se résigner à accepter la petite zone d’influence que la France voulait lui abandonner, non sans quelque réticences.

Mais l’accorde entre ces puissances coloniales ne pouvait, à lui seul ; abattre les difficultés. Il restait l’essentiel : mettre la main sur le pays. Chose qui était loin d’être aisée quand on considère le cas du Maroc. Il n’a pas fallu à la France moins de trente ans pour mettre un terme à ce qu’elle appelait, usant d’un terme cher à l’idéologie colonialiste, la pacification. A remarquer, en passant que la France avait, au départ, des chances sûres de réussir la conquête de sa zone, puisque la plus grande partie de la façade sur l’Atlantique est constituée de plaines d’un accès facile.
Or, l’Espagne avait à faire dans sa zone à un pays essentiellement montagneux. Elle a pu, certes, débarquer quelques troupes à l’Ouest et progresser du côté de Tétouan et de Larache, parce qu’il s’agit justement de régions basses, n’offrant point d’obstacles naturels. Par contre, leurs progrès devenaient problématiques dès qu’elles abordaient les région des Jabala ou Rissouniet d’autres chefs locaux pouvaient faire subir, facilement, des revers à l’armée espagnole. Il en était de même des régions de l’Est ou la progression des troupes espagnoles s’avérait encore plus difficile à partir de Melilla, principale porte du Rif. (Voir le chapitre sur le Chérif Améziane pour en avoir une idée d’ensemble).
La disparition de ce héros authentique de la résistance rifaine en 1912 n’a pas permis pour autant, aux Espagnols de changer grandement la situation en leur faveur dans le Rif. Les tribus continuaient à offrir une résistance efficace, si bien qu’en 1920, une grande partie du Rif échappait toujours à leur domination.
Il est vrai que les Espagnols voulaient soumettre le pays avec le maximum d’économie en moyens militaires, en axant davantage leur pénétration sur l’action politique, plutôt que sur la force. L’exemple de Lyautey en zone française qui semblait réussir, les orientait, dans ce sens. Ils cherchaient donc à prendre contact avec les notables, les hommes influents au sein des tribus rifaines pour en faire des alliés éventuels. Leurs démarches dans ce sens ne restaient pas vaines, puisqu’elles aboutissaient à quelques résultats
Parmi ces notables figure le chef de la famille Al khattabi de la grande tribu des Beni Ouriaghel dont le prénom est Abdelkrim. L’influence dont il jouissait parmi les siens n’était pas due seulement à l’honorabilité de sa famille, mais aussi à sa qualité de lettré, de faquih. Il avait été désigné par le Sultan Moulay El Hassan lui-même à la charge de cadi. Il ne pouvait pas aspirer à une fonction plus prestigieuse au sein de la société musulmane. Connu pour son intelligence et son ambition, il tenait beaucoup à soigner son rang en manifestant le plus vif intérêt aux problèmes de la communauté. En agent discipliné du Makhzen, il ne pouvait qu’accepter le nouveau régime du protectorat. D’où ses contacts amicaux avec les Espagnols qui cherchaient à le gagner à leur cause. Mais il devait, aussi, tenir compte du sentiment des rifains qui refusaient de se soumettre et mouraient en combattant sur le front de la résistance. A cela il faut ajouter qu’il était un musulman à l’esprit ouvert, influencé par les idées de la Salafiya, qui pensait que la société marocaine avait besoin de réformes profondes et devait se mettre à l’école de l’Europe pour accomplir les pas nécessaires dans ce sens ; c’est dans cet esprit qu’il a pensé orienter sa conduite, en gardant de bonnes relations avec les Espagnols. Grâce à sa personnalité, à son influence au sein des Beni Ouriaghel, il devait jouer un rôle de premier plan dans la région, jusqu’à sa mort survenue en 1920.
Mais il apprenait à son fils Mohammed ou Si Mohand, selon l’appellation rifaine, né en 1883, d’illustrer le nom de la famille. Ce fut, lui, le héros de la guerre rifaine qui défraya la chronique pendant de nombreuses années. Mais on le désignait sous le nom de son père Abdelkrim.
à suivre – 2ère Partie