Drôle de destin que celui d’un artiste, témoin d’une époque et toujours vivace, avec toutes les ardeurs d’antan et les visions d’un peintre pleinement conscient des mutations de son temps.
Le phénix en question- une légende vivante à son insu- n’est autre que Bachir Demnati, membre fondateur de l’association Marocaine des Arts Plastiques (AMAP), la plus en vue. Bien plus encore, Bachir Demnati fut témoin, passé inaperçu, de la fondation du célébrissime « Moussem d’Asilah », ayant participé à la première réunion officielle – sur proposition du gouverneur de la province – à l’époque. L’artiste garde même la photo du tableau qu’il exposa au premier festival d’Asilah, en 1978. Un élan en flèche, à l’époque de l’éclosion de l’affirmation d’une identité culturelle et artistique en période de post indépendance au Maroc, n’eut été un évènement malheureux dont il fut épargné par miracle.
Auparavant, il serait le premier conférencier sur le design dans la vie contemporaine, en 1973, pour exposer l’année qui suivra à la célèbre galerie Structure B S, pour une exhibition, par la suite en trio, en 1975 à la Galerie Cotta à Tanger qui a réuni les travaux de Mohamed Melehi, Bachir Demnati et Mohamed Chabaa ; lequel évènement-phare de son parcours, dans sa dimension symbolique, sera suivi par d’autres expositions jusqu’aux tout premiers débuts des années 80.
Le tournant est – pour le moins qu’on puisse dire- surprenant. En effet, Bachir Demnati, nanti de sa formation d’architecte d’intérieur réalisée en Belgique, et sur une insinuation de Robert Delevoy, directeur à l’époque de l’Ecole nationale d’architecture et des arts visuels, a été épargné de l’accident qui allait lui couter la vie, malgré les séquelles morales d’abord, voire un certain mécontentement vis-à-vis de certains membres fondateurs de l’AMAP, lesquels, selon ses propres aveux, auraient été plus attirés par quelque prestige que par les grands objectifs de l’époque de l’après indépendance.
Il n’était pas question, néanmoins, de délaisser la peinture mais de laisser fermenter ses idées et concepts. Cependant, il dut attendre près de 37 ans avant de revenir à sa passion première.
Il s’agissait, en fait, d’assurer de quoi mener une vie décente, sinon confortable. L’homme dut changer de casquette, quoique dans la même sphère créative. Bachir Demnati, tout en restant fidèle à ses carnets de croquis, dut assumer, dans les règles de l’art, à voir les échos parallèles, sa profession d’architecte, et même promoteur immobilier, pour devenir plus tard président fondateur de l’Association des Experts Assermentés du Nord pendant 23 ans.
Et voila que, 37ans plus tard, l’homme renoue avec son atelier de peintre, fort de ses carnets qui ne l’ont jamais quitté, et se lance, depuis bientôt 7 années déjà, dans un retour, tout feu tout flamme, à sa vocation première et son amour initial.
Quand, faute de moyens et alors qu’il créait juste avec des moyens de bord, le plasticien solidement formé par les rigueurs techniques de l’architecte d’intérieur et doté de moyens financiers pour assouvir ses instincts créatifs comme il ambitionnait, l’homme se lance, tête reposée cette fois, dans un entrain, avec des ardeurs de septuagénaire au souffle de 20 ans, et dont le cumul et l’originalité de l’œuvre promettent monts et merveilles.
Une trajectoire haut-le-corps
Né dans la médina à Tanger en 1946, l’enfant de 6 ans déjà, trottait, libre comme le vent, dans les ruelles du côté du Grand Socco, ou de la Mendoubia. Un fait bénin dut attirer son attention. « Ces vieux messieurs » avec un minuscule tabouret et un petit chevalet, des Anglais pour la plupart, qui peignaient paisiblement. Le petit gamin, habité par quelqu’ envie inexplicable d’enfant prodige, se mit tout de suite à l’œuvre, lui aussi. L’artiste en herbe de la toute jeune compagnie de trottins du quartier, dessine le logo d’Al Alam, une équipe locale de football, sous l’œil émerveillé de son tout jeune copain à l’époque, le Dr Abdelhak Bakhat, actuel directeur du Journal de Tanger.
A 13 ans déjà, Demnati annonce ses appétences. « Dommage que je dessine simplement sur un bout de papier. Quand je grandirai je serai comme ces peintres.» Drôle de remord gardé vif dans la mémoire de l’artiste. C’est dire à quel point Bachir Demnati tenait à son futur de créateur et y croyait dur comme fer. Et déjà, il voyait solidement grand. En l’occurrence, sa première esquisse qu’il eut intitulée « Les pyramides » et qui fut créée en 1959, annonçait déjà le style, dans sa dimension géométrique, auquel il demeure attaché jusqu’aux récentes compositions de ces années 2021 avec des variantes et des ajouts de plasticien avide de nouveau et de perfection.
Et pour l’anecdote, à cette même date, Bachir Demnati a bénéficié de la baraka de la célèbre Mme Brodskis (1912-2006), de son nom complet Jacqueline Mathis Brodskis, laquelle vécut jusqu’à sa mort, pendant de nombreuses années au Maroc. Depuis 1950, l’artiste et ancienne responsable des arts plastiques au ministère des Sports et de Beaux Arts en période de pré-indépendance, cette peintre qui ignora la politique et ne savait que parler art, voire semer l’art à tous vents, à Rabat, Meknes, vint même à Tanger aux ateliers de la Maison des Jeunes.
à suivre.