Panique au parlement
Tout a commencé par un gros lapsus lorsque le député du parti de la justice et du développement (PJD) , maire de Fès, Driss El AZAMI EL IDRISSI, bouillonnant sous la coupole du parlement, a perdu le contrôle de son langage en versant dans « l’argot dialectal », défendant, bec et ongles, le maintien de la « retraite à vie » des parlementaires, lors de la réunion d’une commission parlementaire tenue mardi dernier, pour débattre justement de la conservation ou la suppression de cette pension de retraite.
« Voulez-vous que l’on travaille biliki pour vous?» a dit Driss Al Azami, dans un mouvement de colère.
Le lapsus « Biliki » signifie : « pour rien ; gratis», au sens de l’intervenant.
Il a suffi de ce vulgaire pataquès considéré comme insultant pour la langue arabe et provoquant envers les Marocains, pour réveiller le diable endormi des contestations de la rente à vie des parlementaires et des ministres, et rallumer la mèche des protestations.
Cette dramedy intervenait presque simultanément avec la disparition d’un grand artiste-comédien, ce qui a fait écrire par notre confrère, l’hebdomadaire national Tel Quel : « Feu Aziz Saadallah vient malheureusement de nous quitter, voici que de nouveaux comédiens ont fait irruption sur nos écrans, le temps d’un épisode de sitcom. C’est Driss Azami El Idrissi qui a fait rire (ou pleurer, en fonction des sensibilités) les Marocains devant leurs télés. Le spectacle a eu lieu dans l’hémicycle et le discours est éloigné, très éloigné, de celui tenu par le PJD, il y a quelques années devant des millions de Marocains alors que se profilaient des élections où le parti de la Lampe faisait office de favori.
Durant cette réunion de la commission parlementaire, notre ancien ministre s’est transformé en défenseur des traditions, lui dont le parti a tant appelé au changement. La retraite parlementaire ? Un débat “populiste” selon le député-maire de Fès dont le propos pourrait être acceptable en temps normal, mais qui est difficilement cautionnable lorsque les licenciements économiques s’enchaînent et que les Marocains craignent pour leur avenir » a écrit l’hebdomadaire national.
Aussitôt, le jargon politique marocain s’est enrichi d’une nouvelle appellation : « Les bilikistes » désignant les inconditionnels, comme El Azami, adeptes du maintien de la « rente à vie » au bénéfice des parlementaires qui, « grâce à eux, la Nation reste debout », dira le député Pjidiste .
Ipso facto, les réseaux sociaux se sont largement emparés de la question pour dénoncer la « langue fourchue » de Driss El Azami, et pour remettre sur le tapis la question de cette fameuse « rente » faisant depuis toujours l’objet de contestations populaires y compris par le PJD lors des élections législatives de 2011 qui ont porté le parti islamiste au pouvoir.
Cette sortie musclée de Driss El Azami semble apparemment précipiter les choses, mais dans le sens contraire à celui que le député PJDiste escomptait.
En effet, depuis mardi , la question récurrente qui revient sur toutes les lèvres est celle de savoir si l’on doit supprimer la retraite des parlementaires ? Selon plusieurs indicateurs, la réponse serait plutôt « oui », ce qui ne manque pas de créer une certaine panique au sein du parlement … !
Les retraites des parlementaires, au même titre que celles des ministres, a toujours suscité l’indignation populaire. Considérées comme injustes et non méritées, ces retraites sont versées à vie aux concernés pour des mandats grassement rémunérés et limités dans le temps.
Le débat, jusque-là sciemment refoulé chaque fois, sur cette question lancinante, vient de refaire surface aussi bien dans l’enceinte parlementaire que sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la rue.
C’est la jeune députée Ibtissam Azzaoui du parti de l’authenticité et de la modernité (PAM) qui a réveillé le diable endormi, en proposant un nouveau projet de loi suggérant la suppression des pensions de retraite versées aux députés. Un texte audacieux qui n’est pas du goût de toute monde, et surtout pas de celui du député Pjdiste qui cumule aussi la double-fonction rémunérée de président de la commune urbaine de la ville spirituelle de Fès, Driss El Azami El Idrissi.
N’empêche, la commission des Finances à la Chambre des représentants n’avait pas d’autre choix que celui de soumettre au débat le texte de ce projet de loi, pour le mardi 13 octobre 2020.
C’est justement ce débat qui a provoqué l’ire musclée du député et maire de Fès, Driss El Azami El Idrissi qui, en tentant de bâcler ce déât risqué, n’a fait qu’attiser la flamme des contestataires de ce régime de retraite, enclenchant ainsi des prises de position sur les médias sociaux qui, depuis quelques semaines déjà, bruissaient d’une pétition à grande échelle lancée par des internautes qui appellent à annuler les retraites des parlementaires sous peine de boycotter les prochaines élections prévues en 2021. Une échéance électorale proche, à laquelle se préparent activement les partis politiques qui commencent d’ores et déjà à lancer des opérations ponctuelles aux allures de campagnes électorales anticipées.
Ladite pétition connaît un franc succès avec l’adhésion d’un grand nombre de Marocains en colère contre un tel régime de retraites, institué dans les années 90 et qui ne trouve plus sa place dans les circonstances économiques actuelles, marquées par la crise sanitaire du Covid 19 et la baisse des recettes de l’Etat.
Tous ces facteurs on contribué à attiser la colère du député El Azami qui s’est carrément déchainé contre les réseaux sociaux : «Le Parlementaire doit-il travailler « beliki (gratis) ? », é répété le député Pjidiste, fustigeant ainsi ceux qu’il a qualifié d’«influenceurs» sur les réseaux sociaux, les accusant d’«induire les gens en erreur» lorsqu’ils évoquent les retraites des parlementaires et le cumul fonctions et donc des indemnités, comme c’est son propre cas puisqu’il bouffe à plusieurs râteliers.
«Je le dis clairement, en réponse au populisme odieux et l’atteinte aux institutions : le Maroc est fort par ses institutions et à sa tête Sa Majesté le Roi que Dieu le préserve et avec lui le gouvernement, le parlement, les institutions territoriales, les walis et gouverneurs, les directeurs de service, les chefs et les fonctionnaires qui, grâce à eux, l’Etat est solide !», » dira El Azami, poursuivant : « ces gens travailleront-ils biliki, sans salaires? Ces personnes ne travaillent pas pour Dieu. Ils le font certes en implorant la miséricorde de Dieu mais il leur faut, à la fin du mois, de quoi nourrir leurs enfants !» (sic).
Les observateurs estiment que Driss El Azami s’est particulièrement égaré à ce niveau-là, et tenté de brouiller les cartes, parce que la commission ne débattait pas des salaires, ni des primes, mais d’un sujet bien défini qui divise depuis toujours, celui de la retraite contestée que l’on considère indûment accordée au parlementaire qui n’est pas un fonctionnaire et n’est pas soumis au statut général de la fonction publique, notamment le Dahir du 24 février 1958, mais exerce, à sa demande, un mandat volontaire consistant à contrôler l’action du gouvernement, à contribuer à l’élaboration des lois et à évaluer les politiques publiques, et il perçoit un salaire mensuel tout au long de son mandat électoral.
Cela n’a pas empêché l’intraitable intervenant d’insister : « C’est du populisme et nous devons faire face, sans avoir peur de ce qu’on appelle les attaques des soi-disant influenceurs sociaux !», incitera-t-il.
Il fallait beaucoup plus que ça pour « fermer le bec » à ceux que Driss El Azami appelait les influenceurs, surtout que plusieurs voix se sont mises de la partie pour s’élever contre le « biliki » du ténor péjidiste.
« C’est un vrai scandale! Un ancien ministre et maire de la capitale spirituelle du Royaume ose effrontément défendre des parlementaires qui touchent un très gros salaire mensuel, alors que d’autres citoyens ont les poches vides », a dénoncé un journal arabophone national, ajoutant : « ce député, est venu demander aux Marocains, dont certains ne trouvent pas de quoi se nourrir en ces temps de crise, s’ils veulent que nous travaillions ‘biliki’ et que nous n’offrions rien à nos enfants à la fin du mois » (sic). S’adressant au dirigeant PJDiste, le journal lui conseille: « Allez, ‘a khouna’ (notre frère), continuer sur cette voie puisque votre sens politique vous permet de défendre vos millions de centimes, devant un peuple opprimé qui n’a que sa patience! ». Et de conclure: « Prenez, ‘a khouna’, ce que vous voulez et ce, au moment où le gouvernement que dirige votre parti octroie entre 800 et 2000 DH aux Marocains…».
Conclusion plutôt défavorable pour Driss El Azami El Idrissi qui avoir réellement raté le coach puisque, pour le moment, on semble vraiment s’acheminer vers la suppression du régime de retraite des députés.
En effet, si le texte de loi proposé est approuvé, cela impliquerait, dès son approbation puis son entrée en vigueur, l’arrêt des prélèvements sur les cotisations des représentants en cours de mandat. Ces derniers bénéficieraient du cumul des montants déjà prélevés. En revanche, tous les députés qui seront élus ultérieurement seront privés du régime actuel. Ce qui conduirait à une suppression totale des retraites des députés. Si ce texte ne concerne pour le moment que les députés, beaucoup dans la sphère politique appellent à sa généralisation aux membres de la chambre des conseillers et même aux ministres. On relève déjà des mouvements à la deuxième Chambre où des Conseillers demandent au président de convoquer une conférence pour discuter des mécanismes visant à liquider le régime de retraite.
Ces événements qui se bousculent ne manquent pas de créer une certaine angoisse, voire une panique au sein des deux chambres du parlement et parmi des membres du gouvernement car, on ne se sépare pas aussi facilement du sein nourrissant de la maman.
Il faut cependant dire que ce n’est pas la première fois qu’un tel projet de loi est proposé. Avant le PAM, d’autres formations politiques ont, par le passé, proposé des textes similaires qui n’ont jamais abouti.
Seulement, cette fois, les circonstances politiques et économiques ont radicalement changé avec la crise du Covid-19 qui sévit dans le pays et tout son corolaire de difficultés engendrées pour les finances de l’Etat. Ce nouveau contexte de crise pourrait, en effet, aider, selon des spécialistes, à donner des chances de réussite à ce nouveau projet de loi, qui, il faut bien le dire, répond à une revendication populaire très ancienne.
Certains diront que la suppression des retraites aux parlementaires ne permettra pas de construire des hôpitaux, mais elle enverrait un signal fort aux citoyens… !