L’éducation sexuelle ne serait-elle plus un sujet tabou ?
L’adoption en conseil de gouvernement, le 22 avril 2019, du « Pacte des droits de l’Enfant dans l’Islam », soulève la question de l’enseignement de l’Education sexuelle. Une thématique sur laquelle un long chemin reste à parcourir et que nul n’a souhaité trancher, jusqu’à présent.
Pourtant, le constat est glaçant et on le voit chaque jour dans nos rues : harcèlement, non respect du corps de la femme, viol de l’enfant, etc.
Aujourd’hui, cette question est enfin remise à l’ordre du jour, après la multiplication de viols dont celui mortel du petit Adnan qui a secoué Tanger et indigné la nation.
L’éducation à la sexualité, qui se situe à l’intersection de trois champs : biologique, psycho-affectif et social, contribue à la construction de la jeune personne et à l’éducation du citoyen. Composante d’un projet global d’éducation, elle participe à la formation de la personnalité et de l’identité de l’enfant , à son développement et à sa socialisation, en gardant l’estime de soi, en veillant au respect de l’autre, à l’acceptation des différences, à la compréhension et le respect de la loi, et à l’assimilation de la responsabilité individuelle et collective.
D’une manière générale, cette éducation vise l’acquisition de connaissances spécifiques et pousse au questionnement et à la perception de réponses adaptées à la vie en société. Elle permet d’accompagner chaque enfant quand il s’agit d’être vigilant devant n’importe quelle situation qui se présente à lui, aussi inhabituelle soit-elle, comme celle dangereuse de la tentative de viol.
Par exemple, l’éducation sexuelle nous enseigne d’éviter un geste courant dans notre société, celui de forcer l’enfant à embrasser des inconnus, parce que cela risque de faire de lui une victime potentielle incapable d’assimiler les agressions.
Autre exemple courant corrigible par l’éducation sexuelle : des ados cherchent sur Internet ou s’informent auprès de leurs copains, glanant ainsi des informations plus ou moins justes, parfois inexactes, voire trompeuses.
L’éducation à la sexualité enseignée à l’École favorise un apprentissage collectif juste de l’altérité, des règles sociales, des lois et des valeurs communes, des risques sanitaires en lien avec la sexualité généralement ignorés par les jeunes comme les maladies sexuellement transmissibles (MST) dont le VIH /sida.
Dans le cadre de sa mission éducative, l’Ecole a une responsabilité complémentaire du rôle premier joué par la famille dans la construction individuelle et sociale de l’élève, enfant ou adolescent, dans l’apprentissage du « vivre ensemble », dans les relations saines et respectueuses entre les filles et les garçons et dans la promotion d’une culture de l’égalité ; ainsi que la sensibilisation contre le fléau de la violence sexuelle ou celui des préjugés sexistes ou homophobes.
Au début, l’accent serait mis sur la puberté et les bouleversements corporels qu’elle engendre, souvent ignorés par les parents.
Les cours se feraient à l’école à travers des méthodes ludiques et non pas explicites, en fonction des âges.
Toute question susceptible de créer des ambiguïtés ou des inquiétudes de la part des parents ou enseignants serait écartée. L’éducation à la sexualité est l’affaire de tous. Elle ne doit pas se limiter au champ scientifique ou citoyen et peut être abordée à l’occasion de tous les enseignements.
Qu’en pensent les Marocains ?
La loi-cadre sur l’enseignement à peine publiée dans le Bulletin officiel et voici que l’actualité met sur la table un autre sujet brûlant, celui de l’Education sexuelle à l’école. Un débat que le gouvernement El Othmani a initié en adoptant, de façon surprenante, le projet de loi n° 58.19 relatif au “Pacte des droits de l’enfant dans l’islam”, signé lors de la 32ème session du Conseil des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Organisation de la Conférence islamique (Organisation de la Coopération islamique actuellement), qui s’était tenue du 28 au 30 juin 2005 à Sanâe, et sur lequel le Maroc avait préféré fermer les yeux alors que cet engagement lui imposait l’introduction de l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires du primaire et du collège.
Aujourd’hui, après les drames de Tanger, de Fahs Anjra et autres, notamment celui du viol-assassinat du jeune regretté Adnan, le dossier semble vouloir se rouvrir et il devient maintenant clair que le gouvernement a enfin décidé d’introduire l’éducation sexuelle dans les programmes scolaires.
Le Pacte auquel le Maroc s’est engagé en avril 2019 à Sanâe, prévoit, dans son article 12, que tout enfant proche de la puberté a le droit d’accéder à une éducation sexuelle saine lui permettant de distinguer le licite de l’illicite selon naturellement la vision de l’Islam.
S’inspirant, en partie, de la convention des Nations Unies pour l’enfance de 1989, ce Pacte accorde aux enfants le droit d’accéder gratuitement à une éducation faisant ressortir les valeurs de la religion et lui permettant de développer ses connaissances et ses compétences.
Pour Abdelali Rami, Président du Forum des Associations de l’Enfance, l’introduction dans les programmes scolaires d’une matière portant sur l’éducation sexuelle ne peut être que positif. Selon lui, il est impérieux de respecter les règles pédagogiques et morales, ainsi que les spécificités sociales du Maroc, à cet effet.
Rami déplore même que le Royaume accuse du retard dans ce domaine, surtout dans le contexte actuel où la disponibilité des nouvelles technologies et l’ouverture sur le monde présentent des risques pour les enfants qui n’ont pas une bonne éducation sexuelle.
La journaliste Zineb Ibnouzahir, quant à elle, se montre plutôt méfiante : « Non, ne rêvons pas, le gouvernement à majorité islamiste n’a pas pour autant viré sa cuti, décidant un beau jour, de libérer la parole «sexuelle» dans les écoles. C’est plus compliqué et subtil que ça…», écrit-elle, s’interrogeant : « On aimerait comprendre, vraiment, les motivations qui se cachent derrière l’adoption de ce Pacte alors même que le Maroc a déjà signé et ratifié plusieurs conventions internationales visant à la protection et à la promotion des droits de l’enfant? ».
Zineb Ibnouzahir estime que ce Pacte de l’enfant soit (préalablement) passé au peigne fin par des organismes nationaux compétents afin d’en éprouver la constitutionnalité et la conformité aux mécanismes internationaux des droits de l’Homme ratifiés par le Maroc.
Rappelons, d’autre part, qu’une précédente enquête par téléphone effectuée par un hebdomadaire national, entre le 18 janvier et le 2 mars 2018, auprès d’un échantillon de 1000 personnes, avait révélé que plus de la moitié des Marocains approuvent l’instauration de l’enseignement de l’éducation sexuelle dans les écoles.
En effet, quelque 55% des citoyens ont accepté que l’éducation sexuelle soit intégrée dans le programme scolaire, pendant que près du tiers a désapprouvé cette idée. 14% ont refusé de répondre à la question.
Précisons que 60% des urbains acceptent l’idée, contre 48% chez les ruraux.
Les femmes sont plus ouvertes sur le sujet avec un taux de 60% Elles sont, en général, plus ouvertes au changement. Elles ont aussi peur pour leurs enfants, et veulent qu’ils soient bien informés.
A propos de l’âge, six Marocains sur quinze, dont l’âge varie entre 15 et 24 ans, ont voté pour l’instauration de cette matière dans les , tandis que d’autres, âgés entre 25 et 34 ans, ont été plus hésitants sur la question.
Le sondage montre également que les classes sociales aisées et les personnes instruites sont plus « ouvertes d’esprit » sur la question.
Les interrogés « les plus ouverts d’esprit » ont fait des études supérieures (63%), suivis de ceux qui ont décroché le bac (60%). Les analphabètes, eux, sont les plus réticents à cette idée , estimant que le sexe est un sujet tabou, croyant que l’enseignement de l’éducation sexuelle aux enfants est «une incitation à la débauche».
Si l’on remarque que les personnes les plus instruites et les plus aisées sont les plus favorables, il apparaît important de noter que le chemin vers la démystification de ce tabou est encore long. Toutefois, c’est grâce à l’éducation et aux données scientifiques que l’on peut contrer l’ignorance, les idées reçues et les polémiques.
Pour moins choquer les contestataires, on pourrait appeler ces cours scientifiques et spécifiques de sensibilisation : « Education à la santé sexuelle » au lieu de « Education sexuelle».