La cité pittoresque de Tanger a , de tout temps, été le berceau de différentes civilisations et de métamorphoses culturelles au rayonnement universel, incarné par une multitude d’écrivains et d’intellectuels de renom; d’éminents artistes; mais aussi de salles de spectacles; galeries d’art; musées; œuvres et ouvrages sélects; manifestations nationales et internationales, outre des paysages féeriques inspirant la fine poésie et poussant les plumes à l’imagination profonde et lointaine.
On aura pourtant relevé, ces dernières années, un léger déclin sur la scène des Arts et de la Culture, sans doute dû à d’autres priorités, en outre aggravé par des restrictions imposées par les mesures restrictives dictées par la pandémie du nouveau Coronavirus.
Fort heureusement, ce n’est qu’un passage à vide conjoncturel et Il est heureux de constater que l’Espace culturel et artistique de Tanger, longtemps marginalisé, se réveille progressivement. La ville du Détroit redécouvre ainsi, peu à peu, sa place culturelle qui a fait d’elle la cité légendaire méritant son surnom de « Paradis terrestre ».
Alors que nous pleurons à chaudes larmes le naufrage du Grand Théâtre Cervantès, symbole d’une grandeur artistique et culturelle révolue, dévoré par les vicissitudes climatiques et l’abandon cruel, nous nous réjouissons de la naissance de nouvelles infrastructures à l’enseigne du « Palais des Arts et de la Culture » et du « Musée de la Villa Harrys », à Malabata, entre autres.
Mais l’histoire de Tanger en tant que ville artistique et culturelle est beaucoup plus enracinée dans l’histoire profonde, notamment depuis le siècle dernier.
Il serait impensable de pouvoir dissocier Tanger de ses nombreux écrivains, intellectuels, poètes et artistes qui ont meublé le champ artistique et culturel de Tanger où ils ont trouvé l’inspiration pour leurs œuvres aux pieds des remparts de la Kasbah.
Choukri, Paul Bowls, Matisse, Delacroix, Peter Orlovesky, Irwin Allen Ginsberg, Jack Kerouac ou encore William Burroughs y élirent domicile,
et tant d’autres protagonistes de la « Beat Generation* un cercle d’amis anticonformistes qui sont venus profiter de la douce atmosphère que proposait alors la ville, sans doute aussi attirés par son côté pittoresque de cité septentrionale et Zone internationale, avec un environnement propice aux rencontres humaines d’intellectuels et d’artistes venus de divers horizons, attirés par l’inspiration et la méditation.
Les premières années de l’indépendance du Maroc furent marquées par un vif intérêt de gens de lettres, venus notamment du Royaume-Uni et des Etats-Unis.
Auparavant, on avait vu arriver d’importantes personnalités comme Allen Ginsberg et William Burroughs, parmi d’autres qui écrivaient, traduisaient, tout en découvrant un nouvel environnement qui finit rapidement par les adopter.
La ville de Tanger se fit connaître auprès des écrivains et des artistes étrangers grâce à l’œuvre du New-yorkais Paul Bowles (1910 – 1999). Compositeur, écrivain et traducteur; celui-ci et son épouse Jane s’installèrent à Tanger en 1947. Ils produisirent de nombreuses compositions musicales, des romans, des nouvelles, des récits de voyage et des dizaines de traductions d’histoires relatées par les conteurs locaux.
A la veille de l’indépendance du royaume, l’auteur écrivit « La maison de l’araignée », sortie en 1954 pendant le mois de Ramadan, évoquant la naissance de la conscience nationale au Maroc, explorant notamment la relation changeante entre le pouvoir colonial et le nationalisme marocain. Paul Bowles passa à Tanger 52 de ses 88 ans de vie rayonnante.
La réputation de Tanger comme ville d’inspiration artistique par excellence trouva son écho également dans l’œuvre de Brion Gysin (1916 – 1986), peintre britano-canadien, écrivain, poète et artiste performant.
William Burroughs, quant à lui, arrivé dans le Nord du Maroc, consacra les quatre premières années de cette nouvelle vie au travail sur son roman ‘Le festin nu », sorti en 1959 avec un titre qui rappelle de près celui du best-seller « Le Pain nu » de l’écrivain Marocain Mohamed Choukri.
Dans le Maroc des années 40, Choukri quitte le Rif pour Tanger, afin d’échapper à l’écrasante tutelle d’un père, auquel ses enfants vouaient une haine sans partage pour sa cruauté et sa violence. Le narrateur s’éloigne bientôt des siens pour se réfugier à Tanger où il connaît la famine, les nuits à la belle étoile, et rencontre la délinquance, les amitiés nouées dans les bas-fonds de la ville, la sexualité, la prison, la politique.
« Le Pain nu » de Mohamed Choukri est comme une lame tranchante où les sentiments sont étalés à vif, dans une narration initiatique, et autobiographique à la fois crue et poétique, n’ayant d’égal que les épreuves de la vie de l’auteur imbibée de violence, de délinquance et de drogues consolatrices et compensatrices.
Analphabète Choukri devient l’un des écrivains majeurs de la littérature marocaine actuelle, se livrant dans un style brut, crachant les mots de la misère, de la haine, de la colère, de l’envie de vengeance et de revanche.
Seul dans le miroir de son âme, Mohamed Choukri ouvre ainsi son cœur et son âme sans aucun artifice.
Tanger garde aujourd’hui des traces de tous ces passages. A la lisière des tombes phéniciennes et face à la Méditerranée, le mythique Café Hafa a longtemps abrité des rencontres mémorables entre écrivains, musiciens de Jajouka et artistes venus de partout, dont le célèbre peintre français Henri Matisse (1869 – 1954) qui a couché sur la toile ses bribes de vie tangéroise, notamment à travers « Porte de la Casbah », « Sur la terrasse », « La mulâtresse Fatmah, » le « Rifain assis, Zorah debout », ou encore « Vue sur la baie de Tanger ».
Après une période de transition marquée par une timidité culturelle et artistique, vint ensuite la période actuelle avec un semblant d’arrêt net qui a porté une ombre sur les riches rendez-vous culturels et artistiques de notre ville. Un épais nuage qui a couvert le ciel tangérois où se succédaient régulièrement plusieurs événements majeurs qui rythmaient la vie culturelle de Tanger : Festivals de cinéma; Festival Twizza; Salons du Livre et des Arts; Festival Nomade; Animations dans les rues; riches activités dans les galeries d’art et les centres culturels : peintures, sculptures; dessins; photographies; Concerts;; fêtes musicales; expositions ; théâtre; cinéma; multiples disciplines en tables rondes et conférences…Bref, un vide total qui a sévi et qui continue à sévir.On pourrait, certes, évoquer la survenue de la pandémie dévastatrice du Covid 19 qui a freiné les activités courantes dans différentes disciplines et partout dans le monde. Effectivement, il y a beaucoup de vrai dans sur la question, mais il n’y a pas que cela !
Sans trop entrer dans les détails, disons seulement que d’autres priorités ont prévalu détournant les esprits et les moyens vers d’autres préoccupations.
Aujourd’hui, fort heureusement, on assiste avec une certaine satisfaction à un réveil culturel et artistique qui s’installe progressivement en substitution à la léthargie qui sévit depuis un certain temps.
On relève ainsi, avec espoir, que, malgré un lot de tragédies successives d’abandon, à la cruelle image du Grand Théâtre Cervantès, l’offre culturelle régionale se renforcée, à travers la réalisation de plusieurs grands projets structurants qui constituent des signes prometteurs et encourageants pour une renaissance du champ culturel Tangérois.
Il y a d’abord le Palais des Arts et de la Culture qui s’apprête à ouvrir ses portes au quartier de Malabata.
Faisant partie des nouvelles infrastructures culturelles s’inscrivant dans le programme royal « Tanger Métropole », ce nouveau Palais récemment édifié en face du superbe site verdoyant de Villa Harris, se dresse comme un chef d’œuvre architecturel traditionnel, s’inspirant intérieurement des courbures du Grand théâtre Cervantès.
Cette nouvelle bâtisse- prodige signée de la plume de l’architecte Naoufal Bakhat, est en elle-même une pièce d’art réalisée avec un tel degré de perfection qu’elle atteint des sommets de beauté provoquant l’admiration.
Le nouveau Palais des Arts et de la Culture dont les travaux entrepris en mars 2017, ont nécessité une enveloppe budgétaire de 210 millions de dirhams, sont en cours de finition après un certain retard sur le planning, devrait être prochainement inauguré pour redonner à la ville son éclat
culturel et son positionnement comme lieu d’accueil pour artistes et intellectuels marocains et étrangers.
Edifié sur une superficie de 24.000 m2, ce grand complexe culturel se distingue par son grand théâtre permettant d’accueillir 1.400 personnes, cela outre deux salles de spectacle de 200 places chacune, des ateliers créatifs pour enfants et adultes et des studios d’enregistrement.
Vient ensuite l’Espace culturel et artistique « Riad Sultan », un projet pilote de proximité dédié aux jeunes talents, portant le nom du jardin andalou et historique Riad Sultan, qui fait partie du patrimoine archéologique et historique de la Kasbah au riche passé culturel comptant, entre autres, le Palais de la Kasbah (ou Dar El Makhzen), dont la construction remonte au 17ème siècle.
L’Espace « Riad Sultan » a été aménagé à l’initiative de l’Association « Bab Bhar Ciné-Masrah », en tant que gestionnaire et porteuse du projet, et financé par plusieurs organismes étatiques et collectivités locales, dans le cadre d’un programme 2020-2024, planifiant 24 projets culturels et touristiques.
Les travaux d’aménagement et d’équipement de ce projet intramuros qui ont duré deux années, se sont étalés sur une superficie de 450 m2, avec une salle de spectacle pouvant accueillir 130 personnes ; des ateliers créatifs, une théâtrothèque et d’un studio d’enregistrement, des loges pour artistes et des bureaux administratifs, un jardinet et une future cafétéria.
On compte aussi avec la « Villa Harris », un vestige du Tanger international, dont la rénovation était également inscrite dans le programme royal Tanger-Métropole et dont les travaux de réhabilitation ont nécessité plusieurs années. Son Musée expose aujourd’hui 170 œuvres d’artistes modernes et contemporains, marocains et étrangers, collectionnés par El Khalil Belguench, dont celles de peintres Orientalistes du XXe siècle, comme Edy Legrand, Claudio Bravo, Jacques Veyrassat et Jacques Majorelle, et de peintres Marocains tels que Mohammed Ben Ali R’bati, Ahmed Cherkaoui, Fouad Bellamine et Miloud Labied.
La Villa Harris et son Musée ont été officiellement inaugurés, mardi dernier, par le ministre de la Culture Othmane El Ferdaous , en présencedu président de la Fondation Nationale des Musées du Maroc. (FNM), Mehdi Qotbi, et d’un représentant du wali de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima.
Ancienne demeure édifiée au XIXe siècle par le correspondant britannique du journal « Times », Walter Burton Harris, cette Villa qui
porte son nom, entourée de vastes jardins, est inscrite au patrimoine national depuis 2007. Auparavant, elle servait de casino dans les années 1930, avant d’être acquise par le Club Méditerranée (Club Med) dans les années 1960, puis ensuite délaissée à l’abandon jusqu’à ce qu’elle soit intégrée dans le programme royal Tanger-Métropole.
Nous arrivons maintenant à un nouveau complexe culturel édifié au quartier de Beni Makada au quartier de Bénmakada.
S’étendant sur une superficie de 4.300 m2, ce centre culturel vient combler une insuffisance en équipements socioculturels et artistiques dans une zone périphérique tangéroise comptant une jeunesse étoffée.
Ce grand centre se veut, ainsi, un atout de proximité, réalisé pour une enveloppe budgétaire de 40,4 millions de dirhams, est destiné à assurer une animation culturelle et artistique et ambitionne de constituer un espace de formation, de rencontres et d’échanges culturels.
Ce nouveau complexe aménagé selon une architecture traditionnelle marocaine, est constitué de trois niveaux comptant un conservatoire et des ateliers de musique, un espace d’art chorégraphique, des salles de danse, un studio d’enregistrement, une grande salle de 300 places, pour performance artistique (théâtrale, musicale…) , une salle multifonctionnelle, une bibliothèque pour enfants et une autre pour adultes ; une salle d’exposition, ne salle d’informatique , un espace de formation, des services administratifs et une cafétéria, outre, évidemment, des blocs sanitaires.
Citons, enfin, le Centre d’interprétation Ibn Battouta dont les travaux, en cours de réalisation, devraient être achevés l’été prochain.
Le projet consiste en l’aménagement de « Borj Naâm » en espace d’exposition à la mémoire du célèbre voyageur Tangérois Ibn Battouta. S’étendant sur une superficie de 3.000 m2, ce centre devrait mettre en exergue sa biographie ; son ouvrage «Rihla» et ses autres écrits ; l’héritage historique et culturel dont notamment les cartes géographiques des périples du célèbre voyageur ; les grands empires du monde du XIVème siècle, les pays visités et le nombre de kilomètres parcourus ; les personnalités politiques et religieuses qu’il a rencontrées ; les moyens utilisés dans ses voyages tels que le bateau, le chameau, le cheval, entre autres.
Les bâtiments de Borj Naâm seront ainsi restaurés, leurs terrasses aménagées en esplanades avec une vue panoramique sur la mer, mettant en valeur les anciens canons exposés sur le site.
Le bâtiment central pourrait se transformer en espace de restauration pour les visiteurs, aux côtés d’une salle de projection et d’animation.
Parmi les autres sites historiques et touristiques ciblés, il y a le Château Perdicaris, le cinéma Alcazar, Diar Niaba, la Synagogue Assayag ; le phare l’ancienne prison de la Casbah et … la place des arènes (Plaza Toro) et le Grand Théâtre Cervantès dont nous évoquerons de près l’évolution de leur historique et qui feront, le moment venu, l’objet d’études récapitulatives et, espérons-le, novatrices … !
Dr: Abdelhak BAKHAT