La guerre du Rif : Mohamed Ben Abdelkrim
Le 04-03-2015 à 16:43:48
Mémorial du Maroc (Tome V) : 1ère partie
Le 19ème siècle a été le siècle de la grande expansion coloniale mode
e, qui a eu surtout pour théâtre les deux vieux continents : l’Asie et l’Afrique. surpris par la force formidable des assaillants, les peuples visés, tout en offrant souvent une résistance courageuse, ne pouvaient point échapper à la fatalité de la domination étrangère. Ils étaient arrachés, violemment, au rythme nonchalant de leur vie quotidienne façonnée par des siècles d’insouciance et d’inconscience, par des puissances montantes et armées d’une civilisation très avancée.

Aussi étaient-ils incapables de saisir, du jour au lendemain, la signification des événements graves auxquelles ils assistaient et qui les touchaient dans leur propre chair. Ils ne pouvaient pas non plus, découvrir du premier coup, la méthode de combat appropriéepour affronter avec efficacité la stratégie de leurs adversaires si puissants. Autant dire qu’ils se sont trouvés surpris et désempares par un profond bouleversement historique, qui n’avait rien de comparable aux événements habituels. C’était en somme, l’ancien monde des sociétés traditionnelles qui démontrait sa vulnérabilité devant le monde mode
e du matérialisme et du capitalisme.
Le Maroc est, sans doute, l’un des de
iers pays du monde à subir la domination coloniale, après avoir réussi à résister efficacement, durant quatre siècles, à toutes sortes de menaces, de pressions et d’agressions. Dès les premiers chocs avec l’armée des colonisateurs, son peuple a eu, dans une société traditionnelle qui cultive les grandes vertus guerrières, de courage, d’endurance, d’abnégation, de bravoure, de virilité, les vertus d’où naissent les épopées, mais qui devenaient de plus en plus inopérantes devant la puissance infe
ale de l’armement des pays civilisés.
Les Marocains devaient donc traverser l ‘épreuve d’un peuple qui lutte, dans un combat désespéré, pour sauver son honneur et rester lier de lui-même. A vrai dire, un tel combat même en dehors de toute perspective de victoire, n’était pas seulement une gerbe de beaux gestes. D’une certaine manière, il avait son utilité en sauvegardant bien l’avenir, et en marquant chez le peuple qui l’entreprend, la volonté de refuser toute soumission volontaire et d’attendre le moment propice pour reprendre la lutte.
On peut dire que le Maroc, dans son histoire contemporaine, s’est particulièrement signalé, par cette résurgence périodique de la volonté de combattre. De 1907 à 1956, nous y assistons à une série de combats de toutes sortes contre la domination coloniale.
L’un des épisodes les plus frappants et les plus spectaculaires se trouve être la révolte rifaine sous la direction de Mohamed ben Abdelkrim. Dans le langage courant, hérité de la presse de l’époque, on parle de révolte d’Abdelkrim. Appellation que l’historien se doit de corriger. En réalité, il s’agit bien de Mohamed Ben Abdelkrim et non d’Abdelkrim. Par ailleurs, ce n’était pas une révolte personnelle; le peuple rifain était déjà en lutte contre le régime colonial, quand Mohamed Ben Abdelkrim en a assumé la direction. Mais c’est le contexte de ce mouvement, éminemment révolutionnaire, qui doit retenir le plus notre attention.
En 1912, le traité du protectorat était signé. En 1921, c’est à dire neuf ans plus tard, le Rif se soulève dans un mouvement de refus général du régime colonial imposé au Maroc. L’événement avait de quoi surprendre les observateurs de l’époque et susciter la curiosité des historiens d’aujourd’hui. Malgré les colloques, les études, les travaux qui lui ont été consacrés, il est encoure loin de nous avoir livré tous ses secrets. Pourquoi cette curiosité tenace ?
Les raisons en sont nombreuses :
-la soudaineté de la révolte comme réaction collective de tout un peuple en un moment ou les forces de domination coloniale croyaient avoir obtenu des acquis définitifs et élaboré une méthode magique de « pacification » ;
-le coté paradoxal de l’événement : de
ier pays maghrébin à subir l’envahissement du colonisateur, le Maroc fut le premier à organiser une guerre de libération nationale, qui était sur le point de réussir, et ce, à quelques années seulement de la signature du traité de protectorat ;
– la révolte a parqué dans l’histoire une date importante, en ce sens qu’elle a montré que les Marocains avaient découvert au Rif la tactique qui pouvait, seule, réussir contre le colonialisme etl’amener à composition : la guérilla ou ce qu’on a appelé depuis, la guerre populaire, Rappelons à ce propos que c’est Ho-chi-minhlui-même, qui présente ben Abdelkrim comme un « héros national, précurseur de la guerre populaire » il avait bien raison de le dire, puisque, c’est cette même tactique qu’il adapté au terrain vietnamien. On ne pouvait pas trouver témoin plus compétent. La tactique s’est universalisée dans toutes les guerres de libération, en Algérie, en Angola etc.…
– l’événement a été aussi un défi aux colonisateurs et une désillusionpour ceux qui croyaient avoir brisé toute volonté de résistance chez les Marocains et soumis la partie la plus importante du pays que Lyautey désignait, par la formule « le Maroc utile ». Or, l’action de Ben Abdelkrim prouvait avec éclat que la force morale d’un peuple offensé dans sa dignité et privé de sa liberté par l’arbitraire le plus aveugle, restait une arme redoutable à opposer à la force matérielle des colonisateurs. Si l’on considère, en gros, l’histoire de la colonisation dans le monde, on peut dire qu’à partir de la guerre du Rif, les puissances coloniales ont bien perdu de leur assurance et commencé à s’inquiéter de plus en de l’avenir des leurs empires.
à suivre – 2ère partie