Depuis la malheureuse tragédie survenue le 8 février dernier ayant provoqué la mort de 29 personnes, en majorité des femmes âgées de 18 à 40 ans, dans une usine de confection à Tanger, des articles de presse pointent un doigt accusateur sur la ville. Certains qualifient avec insistance, Tanger de foyer d’usines de textiles et d’habillement évoluant dans l’informel. Qu’en est-il réellement ?
Le journal de Tanger a mené une enquête pour démêler le vrai et du faux, et tenter d’apporter des précisions supplémentaires sur les véritables causes de ce drame.
Aux premières heures du choc et de l’indignation créés par la terrible tragédie humaine, les rédactions de tout le pays se sont emballées. Très vite, on a pointé du doigt « la clandestinité » de l’usine dans laquelle 29 personnes sont passées de vie à trépas, pris au piège au milieu des eaux ayant subitement inondé les locaux en soubassement de l’usine où ils vaquaient à leurs occupations professionnelles, comme à ‘accoutumée.
Une fois passée l’émotion et une colère légitimes, on cherchera à voir plus clair.
On dira d’abord que l’usine inondée était clandestine. Une fois les vérifications faites, on annoncera que l’usine était tout, sauf clandestine.
En effet, hormis l’absence d’une autorisation d’exploitation cet atelier de confection disposait de l’ensemble des documents exigés par la législation légitimant son ouverture.
Une fois le caractère de clandestinité écarté, apparaîtra un vice dans le choix de l’emplacement : l’atelier est situé au pied de l’une des nombreuses collines de Charf, exposé aux inondations, non loin du lit de l’Oued Souani, face à une rangée de villas protégées par un mur de soutènement en béton armé; à proximité trois autres usines de prêt-à-porter et d’un commerce de matériel électrique.
Au moment de la montée des eaux, le mur de soutènement a fait office de barrage, empêchant ainsi la crue de déborder en direction du tunnel souterrain de l’avenue des FAR. Ce rôle joué par le mur de soutènement n’a, en réalité, fait que déplacer le problème, puisque les eaux se sont dirigées vers la rue où se situait l’usine et, dès lors, les événements se sont dramatiquement précipités, favorisant la crue ayant été à l’origine de la tragédie ayant endeuillé plusieurs familles. Les questions, parmi d’autres, qui s’imposent, maintenant, seraient de savoir, comment cette usine, dûment enregistrée et plusieurs fois contrôlée, a continué à fonctionner « normalement » durant deux décennies, dans une zone aussi dangereuse, de surcroît située en plein milieu d’une zone inondable, près du lit d’un oued ?
Par évidence, on pourrait imputer la responsabilité au propriétaire des lieux pour son inconscience des dangers et donc de la catastrophe.
Mais en regardant de plus près, on se rend compte que la chaine de responsabilités parait bien longue.
En effet, outre la responsabilité des autorités en charge des contrôles de la mise en application des lois et des règles de sécurité des travailleurs, on peut remonter aux grands industriels du secteur du textile dans la région, à l’instar de ceux de l’AMITH, qui n’hésitent pas, ces dernières années, à financer et à encourager de petits sous-traitants opérant dans des caves et des sous-sols, sous-prétexte de résorber le chômage.
Au mépris de la sécurité et du bien-être des travailleurs, les grands industriels du secteur encouragent la floraison d’une main d’œuvre à bas coût, gérée par des responsables prêts à tout pour leur appétit pécuniaire.
Il est clair, qu’aujourd’hui, l’industrie du textile et de l’habillement fait vivre de nombreuses familles venant de plusieurs régions du Maroc, ce qui explique l’effervescence du secteur et pousse certains industriels véreux à agir dans l’informel.
On n’est donc pas, tout à fait dans l’erreur quand on considère que Tanger est un épicentre du développement des activités informelles de l’industrie textile et de l’habillement.
En effet, personne ne peut nier l’existence d’une activité informelle dans ce secteur important de l’économique régionale.
En réalité, ce problème date de plusieurs années ; au départ, la production des usines opérant dans l’informelle était destinée principalement au marché local, mais cette activité s’est progressivement orientée vers ’export. C’est à se demander comment ces industriels qualifiés de « clandestins » font-ils pour passer sous l’œil « vigilant » du fisc et de la douane ?
L’une des réponses se trouve chez des experts qui estiment que certains industriels réguliers, une fois submergés par des commandes internationales, et obéissant à la logique de l’appât du gain facile, recourent à des petites usines dites « clandestines », employant une main d’œuvre à bon marché et fonctionnant à moindre frais ; peu importe comment, où, et dans quelles conditions fonctionnent ces petites unités dans le gouffre béant de l’informel.
Cette situation est encouragée quand on sait que l’Etat envisage combattre l’activité informelle sans pour autant s’attaquer aux racines du mal.
Il ne s’agit donc pas de se tromper dans la recherche des solutions qui s’imposent.
Si la réalité veut que l’informel englobe un nombre important d’emplois, il convient de trouver des solutions permettant de régulariser la situation à travers des conditions idéales régulières.
On pourrait prendre l’exemple du wali de la région Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Mohamed M’hidia, qui a eu, la brillante idée de mettre à la disposition des petits industriels du secteur de la confection, une grande parcelle de terrain aménagée et sécurisé dans le secteur de Chraka, afin de regrouper les petites unités industrielles dispersées de manière anarchique à l’intérieur et à l’extérieur du cercle urbain. Il sera ainsi remédié à ce problème épineux, de manière salutaire.
Cette initiative est appréciée à sa juste valeur par les bénéficiaires.
Abdelhak BAKHAT